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30 mars 2019 6 30 /03 /mars /2019 12:53

 

Arseguel, Alt Urgell, Catalunya. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

La poésie prisonnière d’Albrecht Haushofer :
Sonnets de la prison nazie de Moabit.

 

 

Albrecht Haushofer : Sonnets de la prison de Moabit,

traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson,

La Coopérative, 208 p, 20 €.

 

 

 

 

 

      Clés, cadenas et verrous peuvent être, qui sait, photogéniques ; voire poétiques. « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée », titrait le dramaturge et poète Alfred de Musset en 1848. Or, si la justice se fait injuste, elle peut incarcérer les poètes, tel Guillaume Apollinaire en 1911, qui goûta pendant cinq jours les geôles de la prison de la Santé dans le cadre d’une éventuelle complicité de vol qui aboutit à un non-lieu : « Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison / L’Amour qui m’accompagne / Prends en pitié surtout ma débile raison / Et ce désespoir qui la gagne[1] ». Mais, pire encore, la justice inique du Troisième Reich abattit l’allemand Albrecht Haushofer, dont les Sonnets de la prison de Moabit ne permirent à un résistant à la violence hitlérienne de ne s’évader que par la fragile certitude de la poésie.

      Il y eu bien une résistance allemande au nazisme. Outre les milliers d’activistes arrêtés dès 1933, et les quelques étudiants munichois regroupé sous le masque de « La rose blanche » en 1942, une vague supplémentaire, touchant les plus hautes sphères, crut se débarrasser d’Hitler en l’assassinant le 20 juillet 1944. L’attentat fut manqué, ses responsables et complices traqués, incarcérés, torturés, exécutés. Albrecht Haushofer, né en 1903, professeur d’université, spécialiste de géopolitique, fonctionnaire sous le III° Reich, fut l’un deux. Son père, Karl Ernst Haushofer, « aveuglé par le rêve du pouvoir », avait été un théoricien du Lebensraum, le tristement célèbre concept de l’espace vital, un architecte « des politiques nazies en direction de l’Islam[2] » ; en 1946, il se suicida avec son épouse. Leur fils, Albrecht, n’était d’abord pas un opposant, seulement un réaliste visionnaire de mauvais augure annonçant le tragique destin du troisième Reich, ce pourquoi ses collègues le surnommaient « Cassandro », du nom de la prophétesse troyenne. Fusillé quelques semaines avant la fin de la seconde Guerre mondiale, le 23 avril 1945, par le dernier carré nazi, encerclé par les chars soviétiques, il avait été enfermé près d’un an dans la prison de la Gestapo à Berlin, pour avoir fait partie du réseau visant à éliminer le Führer. Seul affreux bonheur de cette captivité, il nous a laissé ses Sonnets de la prison de Moabit, dont le manuscrit, minutieusement calligraphié sur cinq feuillets, fut retrouvé dans le manteau de son cadavre exhumé. Publié à Berlin en 1946, ce recueil fut d’abord traduit en français chez Seghers en 1954 ; il est ici proposé pour la première fois en traduction intégrale, en une version nouvelle et soignée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il n’était pourtant guère poète. Mais cette expérience pour le moins traumatisante murit soudain son art. Ce sont quatre-vingts sonnets, ciselés sans préciosité, sans pathos excessif, qui, avec un sens du tragique profondément émouvant, ne se contentent pas du cas personnel du poète : ils rayonnent dans les directions opposés de la tyrannie et de la culture des civilisations. Un régime totalitaire, comparé aux barbaries d’Attila et de Gengis Khan, couronne « trois décennies meurtrières », pour abattre des siècles de haute culture, entre Bach, Kant et Goethe. Ainsi « Livres brûlées » et « Alexandrie », rappelant les exactions d’un empereur chinois et celle d’un « grand commandant des forces d’Allah », sont-ils une façon discrète, et néanmoins efficace, de dénoncer la terreur nazie et ses autodafés, empruntant un accent borgésien :

 

LX

Cassandro

« Mes collègues de travail m’appelaient Cassandro

Car, pareil à la prophétesse troyenne,

Je prédisais au cours d’années d’amertume

La détresse mortelle qui attendait le peuple et l’Etat.

On avait beau célébrer par ailleurs mon grand savoir,

Nul ne voulait entendre mes avertissements,

Ils se mettaient en colère parce que j’osais les déranger

Quand je les adjurais de penser à l’avenir.

Toutes voiles dehors, ils conduisirent le navire

En pleine tempête vers des détroits semés d’écueils

En criant prématurément victoire avec exaltation.

Voici qu’ils font naufrage - et nous aussi. En dernier recours,

Une tentative de prendre la barre a échoué.
Maintenant, nous attendons que la mer nous ait engloutis. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Entre murs et chaînes, entre crainte du moment fatal où il sera emmené vers l’exécution autant que des bombardements alliés qui pilonnent Berlin, où peut bien  s’envoler « le souffle d’une âme » ? Peut-être du côté d’un au-delà où l’attend le Jugement, où le Christ est un « pur esprit baigné de rayons multicolores ». Cette âme ne tait pas sa culpabilité, sa compromission avec un régime abject, où « toute jeunesse est vouée à la mort », n’évite pas l’examen moral : « J’ai longtemps triché avec ma conscience ». Ce qui débouche sur une résistance intérieure : « J’expie pour avoir tenté de les retenir ». Il convoque alors à la barre le souvenir d’autres prisonniers et persécutés aux dépens de leur liberté de pensée, comme les philosophes Socrate, Boèce et Thomas More[3], dont la mort « a illuminé le désastre ».

      Des moineaux, un moustique, « petite âme ailée », l’occupent. La nostalgie des montagnes natales le caresse. Mais « une armée de rats bruns » s’impose. Cependant, au-delà de la souffrance du corps du prisonnier et de l’horreur du tyran, l’esprit des chefs-d’œuvre de la civilisation perdure, en un bel idéalisme. Nourri par les Lumières de l’Aufklärung, les spiritualités du christianisme et du bouddhisme, Albrecht Haushofer vise en son recueil testamentaire l’épanouissement de l’homme et de l’art, y compris en dialoguant avec Bach et Beethoven.

      Pourquoi Albrecht Haushofer a-t-il choisi la forme du sonnet ? Probablement parce qu’écrire en cette concision lui permit de trouver un ordre esthétique dans le sale chaos où il était fourré. Ordonner sa pensée dans le cadre de deux quatrains et de deux tercets, respectant la volta et la chute, parvient à statufier la mobilité de la pensée dans une œuvre d’art, qui espère dépasser la contingence, le temps et la mort. La preuve : l’auteur, ou plutôt ses restes, est à six pieds sous terre, son œuvre intense et mémorielle est entre nos mains, toujours là. Par-delà les frontières, les langues et les ans, elle peut voisiner avec La Ballade de la geôle de Reading, méditée en prison par Oscar Wilde, puis écrite en son exil français. Ce dernier avait été condamné en 1895 aux travaux forcés puis à la prison pour sodomie. Il avait croisé là un « cœur de meurtrier » pour accoucher de la sombre beauté de son poème, précédant d’un demi-siècle celui qui tentait de racheter les mots de la langue allemande qui avait été polluée par la « langue du III° Reich », pour reprendre le titre de Victor Klemperer[4].

      Cette édition heureusement bilingue, d’une œuvre riche, fluide, et plus savante qu’il n’y parait, permet de constater que les poèmes d’Haushofer sont en vers rimés. Si  le traducteur préserve la forme du sonnet et des vers, il ne va pas jusqu’à inventer des rimes. L’exercice eut été périlleux. Lui-même poète, animé par une réelle sensibilité, Jean-Yves Masson parcourt une vaste gamme en son talent de traducteur : n’a-t-il pas traduit de l’anglais les poèmes de Yeats[5] et de l’italien les Triomphes de Pétrarque[6] ?

 

Thierry Guinhut

Article publié, et ici augmenté, dans Le Matricule des anges, février 2019

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

[1] Guillaume Apollinaire : « À la Santé », Alcools, Œuvres poétiques, Gallimard, Pléiade, 2001, p 143.

[2] Voir : David Motadel : Les Musulmans et la machine de guerre nazie, La Découverte, 2019.

[4] Victor Klemperer : LTI, la langue du III° Reich, Pocket, 2003.

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15 mars 2019 5 15 /03 /mars /2019 10:38

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

Pourquoi un libéral lit-il Nietzsche ?
Romantisme, philosophie critique et politique :

une pléiade de lectures.

 

 

Friedrich Nietzsche : Œuvres I et II,

Gallimard La Pléiade, sous la direction de Marc de Launay et de Dorian Astor,

divers traducteurs de l'allemand,

1162 p, 56 € ; 1568 p, 65 €.

 

 

 

      Il peut paraître étonnant qu’un libéral lise Nietzsche. D’abord parce nous ne sommes pas réductibles à une seule identité, une seule obédience. Et ce n’est guère une réputation de libéralisme que lui fait le sens commun, si tant est que le sens commun connaisse réellement l’un et l’autre… Pourtant, quoique avec quelques réticences à lui opposer, le philosophe de Sils-Maria reste une urgente et stimulante nécessité pour la compréhension non seulement de l’histoire de la pensée, mais aussi l’histoire des siècles derniers ; sans compter que l’on puisse appliquer sa perspicacité à des problèmes de l’heure qui engagent notre demain. Si je lis Friedrich Nietzsche - et aujourd’hui dans les deux volumes tant attendus de la Pléiade - c’est d’abord pour son romantisme, pour sa méthode critique ensuite, enfin pour la singularité discutable et cependant  stimulante de sa philosophie politique.

      Longtemps je me suis couché à pas d’heure en refermant à regret un volume de Nietzsche, ou d’abord plus exactement sur Nietzsche. Si l’on ne peut qu’en partie qualifier son discours philosophique de romantique, par son aspiration sans cesse rallumée à la hauteur aristocratique de la pensée, son destin l’est absolument. C’est avec une voracité impatiente pour les faits et la gourmandise de l’exaltation adressée à celui qui pouvait passer pour un modèle, que j’ai lu des biographies : celle passionnée de Daniel Halévy, qui va du « tracé sentimental d’une vie » à « l’une des aventures les plus singulières et les plus héroïques qui aient été tentées dans l’ordre de l’esprit » [1], puis celle, plus scientifique, colossal travail d’historien, de Kurt Paul Janz[2]. Dans lesquelles suivre le parcours exceptionnel de l’adolescent qui s’arrache à l’étroitesse de l’Allemagne petitement protestante, qui, à la vitesse d’une comète, devient professeur de philologie à Bâle, publie l’éblouissante Naissance de la tragédie, devient l’ami de Wagner, non sans avoir la conviction de s’en éloigner ensuite. Vient alors la douleur de son amour ébloui, impossible pour Lou Andréas-Salomé. Malgré sa santé chancelante, et grâce à elle, l’homme mûr édifia une œuvre insolite, incomprise, mêlant essai, aphorisme et poésie, errant entre Nice et l’Engadine, entre Venise et l’Allemagne, peinant, jusqu’au compte d’auteur, à publier ses livres fulgurants, jusqu’à son Zarathoustra inachevé, jusqu’à la pathétique folie… Ses embardées dans la solitude des rivages et des montagnes, dans la solitude de la méditation sont absolument romantiques ; au point que j’eus tendance à préférer la grandeur exaltante et tragique du destin à l’alacrité difficile de la pensée…

      Pourtant, conjointement au plaisir du style, à la vivacité de l’aphorisme, s’ajoutait déjà dans ma lecture erratique un intérêt pour le travail critique sans cesse remis sur l’établi du philosophe. Aucune naïveté n’est possible chez Nietzsche. Les comportements et les opinions convenus sont déshabillés. Il est le généalogiste, non seulement de la morale, mais aussi des motivations et des ambitions humaines, trop humaines. Il est celui qui établit la genèse des supports psychologiques (en cela précurseur de la psychanalyse de Freud, voire la supplantant) et des supports historiques et sociétaux des constructions ontologiques et métaphysiques pour les balayer. Les belles vertus sont soudain pétries de racines peu ragoutantes. L’amour est alors une cupidité : « Notre amour du prochain n’est-il pas impulsion à acquérir une nouvelle propriété ? Et tout de même notre amour du savoir, de la vérité ? »[3] Ou encore : « l’amour en tant que le contraire de l’égoïsme, alors qu’il s’agit peut-être de l’expression la plus effrénée de ce dernier »[4]. Il s’agit alors autant de l’éros que de l’amour social, y compris de la justice sociale, cette hypocrisie… La critique du nihilisme (on dirait également aujourd’hui le relativisme) et du christianisme est également décapante ; tous les deux sont des produits du ressentiment des esclaves et du bas peuple qui construisent leur morale pour parvenir à dominer les puissants : « Le christianisme est un platonisme pour le peuple »[5]. Ainsi, toute la boutique des arrière-mondes, des au-delàs est balayée, la transcendance évacuée, ce à cause de leur origine médiocrement plaintive lors du refus du monde et de la condition humaine comme ils vont. En ce sens il y a une dimension aristocratique à l’acceptation de l’immanence, cet amour du destin qui conduisit notre homme à des extrémités plus mythologiques que rationnelles : l’éternel retour du même.

 

Photo : T. Guinhut.

 

      L’espèce du philosophe n’est pas épargnée par la remise en question critique : « Ce sont les passions qui donnent naissance aux opinions ; la paresse d’esprit les fige en convictions[6] ». Ne doutons pas qu’il s’applique à lui-même un tel aphorisme, qui doit aussi nous alarmer, à l’occasion de notre éthique de penseur, si modeste soyons nous : « La moralité n’est que l’instinct grégaire individuel[7] ». Ou encore : « L’instinct de la connaissance aussi n’est qu’un instinct supérieur de la propriété[8] ». Quoique il faille également lire cela dans le cadre d’un éloge : « La connaissance des philosophes est création, leur volonté de vérité est volonté de puissance[9] ». Où l’on perçoit bien que ce dernier concept n’a rien de nazi, qu’il s’honore d’une dimension, d’une qualité intellectuelle et morale. D’où la nécessité de la hiérarchie des législateurs sur la plèbe démocratique, vivier de ce dernier homme que Tocqueville vit poindre dans la satisfaction béate de la majorité.

      L’on sait également qu’il encourage au danger plutôt qu’à la paix : « la plus grande jouissance de l’existence, consiste à vivre dangereusement ! Construisez vos villes auprès du Vésuve ! Envoyez vos vaisseaux dans les mers inexplorées ! Vivez en état de guerre avec vos semblables et avec vous-même ![10] ». Bien qu’il faille le lire moins physiquement que métaphoriquement, voilà bien un autre concept à débarrasser des lectures travesties par sa sœur, Elizabeth Forster-Nietzsche, épouse d’un antisémite notaire, lorsqu’elle piocha, coupa, recomposa parmi les fragments posthumes, pour publier La Volonté de puissance qui devint un bréviaire nazi, alors qu'il ne s'agit que d'un ouvrage qui n’a jamais existé[11]. Pourtant l’on sait que notre philosophe était un anti-antisémite convaincu[12]. Dans « Ce que l’Europe doit aux Juifs ? », il conclue : «  Nous qui assistons en artistes et en philosophes à ce spectacle, nous en sommes – reconnaissants aux Juifs[13] ».

 

 

      Nietzsche est-il alors un libéral ? Oui pour sa liberté de penser, pour l’individualisme du surhomme, de celui qui se développe soi-même en tant qu’œuvre. Non, de par son peu d’intérêt aux questions économiques. Non, à cause de l’importance incontournable accordée à la hiérarchie et à la subordination ; non, pour sa méfiance envers la rationalité humaine gouvernée par ses instincts et son ressentiment. Non, à cause de cette nostalgique admiration pour la fière animalité de l’homme : « Au fond de toutes ses races aristocratiques, il y a, à ne pas s’y tromper, le fauve, la superbe brute blonde avide de proie et de victoire[14] », une de ses phrases hélas récupérées par le nazisme, la séparant de son contexte d’analyse de la généalogie de la morale des faibles construite par le judaïsme et le christianisme pour supplanter celle des forts. Non encore, pour son antiféminisme : « Rien n’est d’emblée aussi étranger à la femme, rien ne lui est aussi odieux, aussi contraire que la vérité[15] ». Il exècre « une femme qui se laisse aller en présence de l’homme, peut-être jusqu’au point d’écrire un livre, au lieu d’observer comme naguère une réserve décente et une soumission rusée[16] », ce entre autres gracieusetés qui culminent avec le trop célèbre et paléolithique : « Tu vas chez les femmes, n’oublie pas le fouet[17] ». Quoique sur la photographie du trio Nietzsche, Paul Rée, Lou Andréas Salomé, c’est cette dernière qui tient le fouet… Cependant, notre philosophe aime pratiquer la contradiction (ce pourquoi l’on peut lui faire dire beaucoup, ce à quoi je n’échappe peut-être pas). Et l’on sait qu’il n’aima pas seulement Lou pour son front lumineux[18] mais pour son intelligence hors pair : « L’intelligence des femmes se manifeste sous forme de maîtrise parfaite, de présence d’esprit, d’exploitation de tous les avantages (…) les femmes ont l’entendement, les hommes la sensibilité et la passion[19] », ceci au rebours du préjugé commun. Enfin,  « on ne saurait être assez tendre avec les femmes[20] »…

 

Daniel Halévy : Nietzsche, Grasset, 1944.

Photo : .T Guinhut

 

      Jamais Nietzsche n’aurait pu être favorable à aucune tyrannie, être théocrate, être nazi, national socialiste donc. Il suffit de lire ce qu’il pense du collectivisme et du socialisme, qu’il soit nationaliste ou internationaliste : « Le socialisme est le frère cadet et fantasque du despotisme agonisant, dont il veut recueillir l’héritage ; ses aspirations sont donc réactionnaires au sens le plus profond. Car il désire la puissance étatique que seul le despotisme a jamais possédé, il surenchérit même sur le passé en visant à l’anéantissement pur et simple de l’individu[21] ». Il achève ce réquisitoire par « le cri de ralliement opposé : Le moins d’état possible.[22] » Autre cri pour notre temps, dans un développement sur la croyance et les religions : « Le fanatisme est en effet l’unique force de volonté à laquelle puissent être amenés les faibles et les incertains ». Ce à quoi il oppose « le libre esprit par excellence [23]». Clairvoyant, n’est-ce pas ?

      Il n'est pas sûr cependant que Nietzsche connût fort bien les penseurs libéraux, d'Adam Smith à John Stuart Mill. Dans une page intitulée « Ma conception de la liberté », il commence judicieusement : « Les institutions libérales cessent d'être libérales dès qu'elles sont acquises », car le danger qui guette toute institution, même animée des meilleures intentions, est sa volonté de puissance lorsqu'elle mine celle des individus : en elle « c'est l'animal grégaire qui triomphe toujours. Libéralisme : en clair cela signifie abêtissement grégaire... » Cette dernière formule, compréhensible dans le contexte, est un oxymore, en tant que le libéralisme politique est par principe irréductible au grégarisme. Mais face à la tyrannie, « La liberté signifie que les instincts virils, les instincts belliqueux et victorieux, ont le pas sur les autres instincts, par exemple celui du bonheur[24] ».

      Que pourrait de plus nous enseigner Nietzsche afin de comprendre notre aujourd’hui et prévenir notre demain politiques ? Par exemple : « Le caractère démagogique et le dessin d’agir sur les masses sont actuellement communs à tous les partis politiques : ils sont tous obligés, en raison dudit dessein, de convertir leurs principes en grandes sottises[25] ». Ainsi « la démocratie est (…) une école des tyrans[26] ». Et c’est là une des rares occurrences où il approuve Platon : car l’égalité politique ne vaut rien devant la vérité. Il y a une altitude intellectuelle, venue, outre des penseurs libéraux, entre Tocqueville et Aron, de Nietzsche qui doit nous protéger de la bassesse d’une démocratie qui ne serait plus celle des libertés.

 

 

      Lire Nietzsche adossé à un rocher battu des vents de l’Engadine ? Dans la paix feutrée de la bibliothèque ? Parmi les pages des vieux Mercure de France traduits par Henri Albert, dans la bonne douzaine de volumes des Œuvres philosophiques complètes établies par Colli et Montinari, et maintenant dans la collection de la Pléiade. Après dix-neuf années d’une attente impatiente, trépignante, insupportable, voici enfin le volume II, le premier étant paru en l’an 2000, une fois de plus établi sous la vigilance éclairée de Marc de Launay, et cette fois ci assisté d’une autre expert nietzschéen, Dorian Astor, qui dirigea récemment le Dictionnaire Nietzsche[27]. Espérons que nous ne subirons pas le même intolérable délai pour le troisième volume, qui habillera Par-delà le bien et le mal, La Généalogie de la morale, Ainsi parlait Zarathoustra et les textes de la folie jusqu’à l’extinction de janvier 1889 ; au risque de ne trouver aucune librairie dans les tombes…

      Reconnaissons qu’il s’agit à d’un habile découpage. Le premier Pléiade réunissait le Nietzsche que La Naissance de la tragédie avait révélé, l’examen de Schopenhauer et l’éloge de Wagner, le philologue discursif, l’homme du fondateur creuset de l’apollinien et du dionysiaque, l’homme affronté aux grandes figures de son temps. Outre les écrits de jeunesse, des textes curieux, jusqu’alors inédits en français, émaillent l’ensemble, comme des conférences Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement,  des recherches sur les présocratiques, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, et Vérité et mensonge au sens extra-moral.

      Soudain, le voici, à l’orée de ce second Pléiade, prenant entre 1878 et 1882 son vol singulier : il s’est secoué de la lourde révérence envers Wagner, sa philosophie est moins analytique qu’éruptive. Volontiers polémique, répudiant le genre du traité, son écriture est définitivement convertie à l’aphorisme, souvent fort brefs, parfois intensément développés,  sans compter une poignée de poèmes intensément lyriques. Il sait désormais, combien, loin de l’idéalisme, nous sommes Humain, trop humain ; bientôt une Aurore, qui met à mal la pureté de la morale instituée, se lève pour Le Gai savoir, celui de la critique des valeurs, de la volonté de puissance et de l’éternel retour. Il n’est plus le professeur de Bâle, mais le philosophe errant, et secoué de crises maladives, de vastes exaltations créatrices, entre Venise, Marienbad, Gênes et Sils-Maria, en Suisse…

      La philologie l’amène à reconsidérer le langage : « Chaque mot est un préjugé », écrit-il dans Le Voyageur et son ombre, seconde partie d’Humain trop humain. Alors que Wagner se coule dans un christianisme languissant avec son Parsifal, Nietzsche entame sa remise en cause de l’éthique chrétienne, déniant l’origine transcendante de la morale. Au point que dans Le Gai savoir, il annonce la mort de Dieu. Certes Jean-Paul Richter, dans Siebenkaes, en 1797, l’avait précédé : « tous les morts s’écrièrent : Christ ! n’est-il point de Dieu ? Il répondit : Il n’en est point ![28] » ; mais ce n’était qu’un avertissement aux sceptiques. Pour Nietzsche l’information est définitive, même si elle reste pour beaucoup encore à caution, ce dont témoigne l’allusion platonicienne : «  Dieu est mort, mais telle est la nature des hommes que, des millénaires durant peut-être, il aura des cavernes où l’on montrera encore son ombre[29] ». Il faut donc à une existence dépourvue de sens ajouter une « gaya scienza », une sagesse gaie, y compris au prix de l’acceptation de l’effrayant éternel retour du même, concept que l’on pourra trouver fumeux ou témoignant de l’accord avec soi et son destin, concept finalement assez peu explicité par son auteur.

      Mais en ce Gai savoir, que de pépites pour notre temps ou intemporelles ! Par exemple le « Danger des végétariens » : « les promoteurs de ces manières-là de penser et de sentir, tels les docteurs hindous, prônent précisément une diète végétarienne dont ils voudraient faire la loi à la masse : ils veulent ainsi provoquer et augmenter le besoin qu’ils sont eux-mêmes en mesure de satisfaire[30] ». Mieux : « De la plus grande utilité du polythéisme. Que l’individu puisse établir son propre idéal[31] ». Mieux encore : « Le parlementarisme, c’est-à-dire la permission publique de choisir entre cinq opinions politiques fondamentales, flatte le grand nombre de ceux qui aimeraient paraître indépendants et individuels et combattre pour leurs opinions. Mais, à la fin, il est indifférent qu’une seule opinion soit imposée au troupeau ou que cinq opinions lui soient permises - quiconque s’écarte des cinq opinions fondamentales aura toujours contre lui le troupeau tout entier[32] ».

 

      Lire et relire Nietzsche est en quelque sorte un éternel retour de la philosophie : il a pris en écharpe les substrats de notre civilisation, antiquité grecque, judaïsme, christianisme, sans excepter le bouddhisme, pour en décaper les présupposés, le socialisme et le libéralisme également. Quant à l’Islam, il n’a malheureusement pas su, ou pas eu le temps, de faire le même travail, sauf lorsqu’il fait l’éloge de son vouloir vivre, de sa puissance : « Si l’Islam méprise le Christianisme, il a mille fois raison : l’Islam suppose des hommes pleinement virils... Le Christianisme nous a frustrés de la moisson de la culture antique, et, plus tard, il nous a encore frustrés de celle de la culture islamique. La merveilleuse civilisation maure d’Espagne, au fond plus proche de nous, parlant plus à nos sens et à notre goût que Rome et la Grèce, a été foulée aux pieds (et je préfère ne pas penser par quels pieds!) – Pourquoi ? Parce qu’elle devait le jour à des instincts aristocratiques, à des instincts virils, parce qu’elle disait oui à la vie, avec en plus, les exquis raffinements de la vie maure !… Les croisés combattirent plus tard quelque chose devant quoi ils auraient mieux fait de se prosterner dans la poussière.[33] » Entraîné par son enthousiaste déboulonnage du Christianisme, ne commet-il pas un excès répugnant, un de ces éloges de la force, qui ont pu lui être subtilisés par le nazisme ? Oublie-t-il qu’il n’aurait à peine pu penser en terre d’Islam, encore moins y publier ses livres ? En tout état de cause il n’oublie pas parmi les mêmes pages de louer le « génie » des Grecs et des Romains, leur « civilisation savante » et leur « grand art ». Si nous adhérons assez peu à l’éloge de la force aristocratique (quoiqu’elle puisse être nécessaire au service de la civilisation) dont rêvait la faiblesse physique de Nietzsche - ne savait-il pas qu’il s’agissait d’une forme de sublimation ? - il est à peine un philosophe à système et doctrine, sous la bannière duquel se ranger, nous laissant aux prises avec les seules libertés dont nous serions capables. Aussi n’oublie-t-il pas de déboulonner les idoles qui entravent la pensée : « Le "saint mensonge" est commun à Confucius, aux lois de Manou, à Mahomet, à l'Église chrétienne – : il ne manque pas chez Platon. " La vérité est là " : partout où l'on entend ça, cela signifie que le prêtre ment[33] »...

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Lire également :  Bonheurs et trahisons du Dictionnaire Nietzsche

 


[1] Daniel Halévy : Nietzsche, Grasset, 1944, p 9 et 10.

[2] Kurt Paul Janz : Nietzsche, Gallimard, 1984.

[3] Le Gai savoir, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1982, p 64.

[4] Ibidem, p 65.

[5] Par-delà le bien et le mal, Œuvres philosophiques complètes, VII, Gallimard, 1992, p 18.

[6] Humain trop humain, Œuvres philosophiques complètes, III, tome I, Gallimard, 1988, p 334.

[7] Le Gai savoir, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1982, p 144.

[8] Fragments posthumes, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1982, p 330.

[9] Ibidem, p 131.

[10] Le Gai savoir, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1982, I, 14, p 194.

[11] Tel, Gallimard, 1995. Voir à ce sujet : Mazzino Montinari : La Volonté de puissance n'existe pas, L'Eclat, 1996.

[12] Voir à ce sujet Jean-Pierre Faye : Le Vrai Nietzsche, Hermann, 1998.

[13] Par-delà le bien et le mal, Œuvres philosophiques complètes, VII, Gallimard, 1992, p 169.

[14] La Généalogie de la morale, Œuvres philosophiques complètes, VII, Gallimard, 1992, p 238.

[15] Par-delà le bien et le mal, Œuvres philosophiques complètes, VII, Gallimard, 1992, p 152.

[16] Ibidem, p 156.

[17] Ainsi parlait Zarathoustra, « La vieille et la jeune femme », Club du meilleur livre, 1959, p 65.

[18] Dont le livre de Daniel Halévy offre p 288 une photo éblouissante.

[19] Humain trop humain, Œuvres philosophiques complètes, III, tome I, Gallimard, 1988, p 251.

[20] Le Gai savoir, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1992, p 102.

[21] Humain trop humain, Œuvres philosophiques complètes, III, tome I, Gallimard, 1988,  p 283.

[22] Ibidem, p 284.

[23] Le Gai savoir, Œuvres philosophiques complètes, V, Gallimard, 1992, p 245 et 246.

[24] Crépuscule des idoles, Œuvres philosophiques complètes, VIII, Gallimard, 2004, p 133.

[25] Humain trop humain, Œuvres philosophiques complètes, III, tome I, Gallimard, 1988, p 263.

[26] Par-delà le bien et le mal, Œuvres philosophiques complètes, VII, Gallimard, 1992, p 162.

[28] Jean-Paul Richter : Choix de rêves, José Corti, 2001, p 145.

[29] Le Gai savoir, 108, Œuvres II, La Pléiade, Gallimard, 2019, p 1028.

[30] Le Gai savoir, 145, ibidem, p 1051.

[31] Le Gai savoir, 143, ibidem, p 1049.

[32] Le Gai savoir, 174, ibidem, p 1059-1060.

[33] L’Antéchrist, 59-60, Œuvres philosophiques complètes VIII, Gallimard, 2004, p 231.

[34] L'Antéchrist, 55, ibidem, p 230.

Photo : T. Guinhut.

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10 mars 2019 7 10 /03 /mars /2019 15:07

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

De Mein Kampf à la chambre à gaz ;
ou comment lire Mein Kampf ?
Avec le secours de Claude Quétel
et de Didier Durmarque.

 

 

Claude Quétel : Tout sur Mein Kampf, Perrin, Tempus, 256 p, 8 €.

 

Didier Durmarque : Phénoménologie de la chambre à gaz,

L’Âge d’homme, 168 p, 17 €.

 

 

 

 

 

      Comment digérer les excréments de l’Histoire ? Les livres maudits ne le sont pas pour tout le monde. Ils eurent et ont toujours leurs enthousiastes, glissant de sibyllins éloges, poussant d’inépuisables éructations d’admiration. Quoique soient plus aisément disponibles d'autres manifestes, marxistes ou théocratiques, ils ne subissent pas comme Mein Kampf, du moins en France, l’étrange discrimination qui lui est faite. Chacun de ces opuscules présente une dimension totalitaire explicite, voire génocidaire, et pourtant il serait le seul à menacer d’un scandale une nouvelle traduction chez un éditeur patenté. Faut-il lire Mein Kampf, d’Adolf Hitler, puisqu’il faut le renommer ? Le pensum vaut son pesant d’or documentaire, historique, tant vaut son poids de fange antilibérale et antisémite. En attendant d’en consulter une traduction soignée et judicieusement annotée, il est permis de lire Tout sur Mein Kampf, de Claude Quétel, avec le profit de celui pour qui les abominations de l’Histoire peuvent nourrir la pensée juste. Tout en affirmant combien la ligne est directement tracée entre le gros torchon d’Hitler et les chambre à gaz, dont Didier Durmarque décline la « phénoménologie ».

 

      Tombé dans le domaine public depuis janvier 2016, et à ce titre facilement disponible outre-Rhin dans une édition judicieusement annotée, contextualisée, qui voisine les 2000 pages et conquit les historiens[1], le brûlot de celui qui aimait faire brûler des livres sur les places publiques, est censé paraître chez Fayard. Mais devant les cris d’orfraie des bonnes âmes qui craignent de revoir l’ouvrage servir de talisman satanique et d’inspirateur, l’éditeur retarde la chose avec pusillanimité, alors que le traducteur Olivier Manonni avoue avoir effectué un travail que l’on devine « accablant » (c’est son propre terme) et que l’on ne peut douter du sérieux scrupuleux de son éthique si l’on connait le colossal talent qu’il mit au service du philosophe Peter Sloterdijk[2].

      Certes le volume écrit en 1924 par le plumitif nazi en chef n’est pas le nec plus ultra du nazisme, ni la totalité de la doctrine, tant il faut la compléter avec le secours de ses sources historiques, philosophiques, de ses discours et entretiens ; il n’est qu’un ramassis passablement organisé de tout ce qui trainait à l’époque de racisme et d’antisémitisme, de nationalisme et de militarisme, de fantasme d’espace vital, de race aryenne et de grande Allemagne… Entre l’autobiographie égocentrique et l’invective, entre la géopolitique et l’obsession, entre la vulgarité de l’expression et la médiocrité de la syntaxe, le cœur du lecteur balance aux deux extrémités de la curiosité et de la nausée, même si le projet génocidaire est habilement camouflé, et cependant déductible du manifeste politique. C’est selon le traducteur « illisible » : « Je considère qu'il n'y a aucun risque à ce qu'il devienne un livre de chevet comme je l'entends dire[3] ». Espérons qu’il ne s’agisse pas d’un vœu pieux, tant il a inspiré les élites et les soldats du Reich dans leurs guerres de conquête et leur « solution finale ». Espérons également que voir un tel objet trôner en librairie ne concoure pas à lui donner une aura de respectabilité ou un parfum de transgression, qui attireraient les détraqués, les néo-nazis en herbe, les antisémites criards. En d’autres termes, seul les convaincus seront persuadés.

      Il est difficile d’accorder quelque talent d’écrivain à l’auteur de Mein Kampf. Si les chaotiques manuscrits des deux tomes, « bourrés de fautes, d’incohérences, de redites », souligne Claude Quétel, durent être polis par ses collaborateurs, voilà un texte boursouflé, interminable, d’une logique méandreuse, réuni en un seul volume en 1930. Cependant, quoique indéniablement dérangé, ce n’est pas un fou qui écrit, mais un leader politique sûr de lui, innervé par un programme dictatorial,qui définit son projet national et stratégique, et vomit de surcroit son fiel judéophobe à tour de pages, à moins qu'en cela même consiste la folie. Quittons la seule tératologie pour accéder à l’examen politique et historique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Si mythe il y a, rien ne vaut, à condition d’être autant que faire se peut sensé, cette lecture pour le faire tomber de son piédestal pourri. On mesure mal les conditions du succès politique et d’édition d’un tel histrion et d’un tel torchon : fallait-il qu’il rencontre ainsi l’horizon d’attente du lecteur et électeur allemand en fouillant et exhibant ses pires instincts ?

      La réception en France de Mon Combat fut plus molle. Alors qu’Hitler souhaitait éviter la divulgation de ses plans de conquête, la traduction fut en 1934 publiée sous l’égide à la fois de Charles Maurras et de la Ligue contre l’antisémitisme, ce qui est un oxymore, de façon à mieux faire connaître la doctrine, autant pour l’apprécier que pour une mise en garde : hélas les députés, sénateurs et intellectuels qui la reçurent ne la lurent pas. Hitler fit en 1938 paraître une traduction expurgée, euphémisée, non sans intenter un procès qui aboutit à la destruction du stock des Nouvelles Editions Latines, qui en fit secrètement tirer ensuite quelques milliers d’exemplaires à destination de la Résistance.

      « Sapere aude, ose savoir ![4] », disait Kant. Il faut en effet lire Mein Kampf, qui n’a jamais été interdit en France. Y compris dans les manuels scolaires. L’interdire reviendrait à glisser sur une pente savonneuse qui voudrait celer tout texte où le mal apparait jusqu’en sa dimension programmatique. Il est d’ailleurs le plus simplement du monde disponible en PDF[5], du moins environ une moitié, dans une traduction qui ne vaut pas celle à venir d’Olivier Mannoni

      Le torchon est bien un texte qui, dès sa première page, pousse à la guerre : « Une heureuse prédestination m'a fait naître à Braunau-am-Inn, bourgade située précisément à la frontière de ces deux Etats allemands dont la nouvelle fusion nous apparaît comme la tâche essentielle de notre vie, à poursuivre par tous les moyens. L'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande et ceci, non pas en vertu de quelconques raisons économiques. Non, non : même si cette fusion, économiquement parlant, est indifférente ou même nuisible, elle doit avoir lieu quand même. Le même sang appartient à un même empire. Le peuple allemand n'aura aucun droit à une activité politique coloniale tant qu'il n'aura pu réunir ses propres fils en un même Etat. Lorsque le territoire du Reich contiendra tous les Allemands, s'il s'avère inapte à les nourrir, de la nécessité de ce peuple naîtra son droit moral d'acquérir des terres étrangères. La charrue fera alors place à l'épée, et les larmes de la guerre prépareront les moissons du monde futur. […] C'est seulement lorsque ceci sera bien compris en Allemagne, quand on ne laissera plus la volonté de vivre de la nation s'égarer dans une défense purement passive, mais qu'on rassemblera toute notre énergie pour une explication définitive avec la France, et pour cette lutte décisive, qu'on jettera dans la balance les objectifs essentiels de la nation allemande, c'est alors seulement qu'on pourra mettre un terme à la lutte interminable et essentiellement stérile qui nous oppose à la France ; mais à condition que l'Allemagne ne voie dans l'anéantissement de la France qu'un moyen de donner enfin à notre peuple, sur un autre théâtre, toute l'extension dont il est capable. » Voilà qui a le triste mérite d’être clair !

Adolf Hitler use d’un darwinisme de pacotille en sa théorie des races supérieures et inférieures : « lorsque l'Aryen a mélangé son sang avec celui de peuples inférieurs, le résultat de ce métissage a été la ruine du peuple civilisateur ». Le délire s’amplifie en toute hyperbole éhontée : « L'Aryen est le Prométhée de l'humanité ; l'étincelle divine du génie a de tout temps jailli de son front lumineux ».

      En regard, il use de la diffamation des Juifs à l’envi : « Les Juifs ne sont unis que quand ils y sont contraints par un danger commun ou attirés par une proie commune. Si ces deux motifs disparaissent, l'égoïsme le plus brutal reprend ses droits et ce peuple, auparavant si uni, n'est plus en un tournemain qu'une troupe de rats se livrant des combats sanglants. Si les Juifs étaient seuls en ce monde, ils étoufferaient dans la crasse et l'ordure ou bien chercheraient dans des luttes sans merci à s'exploiter et à s'exterminer, à moins que leur lâcheté, où se manifeste leur manque absolu d'esprit de sacrifice, ne fasse du combat une simple parade. » Plus loin, le Juif « est et demeure le parasite-type, l'écornifleur, qui, tel un bacille nuisible, s'étend toujours plus loin, sitôt qu'un sol nourricier favorable l'y invite. L'effet produit par sa présence est celui des plantes parasites : là où il se fixe, le peuple qui l'accueille s'éteint au bout de plus ou moins longtemps […] C'est une véritable sangsue qui se fixe au corps du malheureux peuple et qu'on ne peut en détacher […] Il empoisonne le sang des autres, mais préserve le sien de toute altération. […] La ruine de la personnalité et de la race supprime le plus grand obstacle qui s'oppose à la domination d'une race inférieure, c'est-à-dire de la race juive. […] sa vilenie est tellement gigantesque qu'il ne faut pas s'étonner si, dans l'imagination de notre peuple, la personnification du diable, comme symbole de tout ce qui est mal, prend la forme du Juif. […] Ce furent et ce sont encore des Juifs qui ont amené le nègre sur le Rhin ». En toute logique tordue, l’on en arrive à la conclusion : « L'Etat raciste national-socialiste […] Un Etat qui, à une époque de contamination des races, veille jalousement à la conservation des meilleurs éléments de la sienne, doit devenir un jour le maître de la terre. » Notons que nous avons corrigé ici d’évidentes coquilles du texte, bien peu soigné, en PDF.

      Contre-vérités, argumentation illogique, incompréhension de la culture juive, ressentiment, insultes baveuses, pulsion guerrière et meurtrière, rien ne manque donc au service d’une idéologie aryano-allemande expansionniste, conquérante, aux dépens des peuples voisins, et au premier chef du Juif qui n’est digne que d’être éliminé. Tout cela sous la gouverne d’un seul guide : Adolf Hitler tel qu’en lui-même. Mais un tel discours flatte un peuple déçu par l’issue de la Première Guerre mondiale, par le parlementarisme, par la crise économique ; la démagogie permet d’exalter une race (qui n’existe pas) et un avenir collectif radieux, en projetant son ressentiment sur un bouc émissaire privilégié : le Juif.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      À l’occasion de cette édifiante lecture, il s’avère que le bateleur de taverne n’écrit pas si mal que cela, du moins du seul point de vue rhétorique, hors de toute considération intellectuelle et morale, bien évidemment, alors qu’il est « le mal radical inné dans la nature humaine », pour reprendre la formule de Kant[6].

      Aussi est-il bien nécessaire de d’appliquer la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris de 1979, qui subordonnait la parution à un avertissement ainsi libellé: « Le lecteur de Mein Kampf doit se souvenir des crimes contre l'humanité qui ont été commis en application de cet ouvrage et réaliser que les manifestations actuelles de haine raciale participent de son esprit. » Or le monde arabe ne s’embarrasse pas de tels scrupules, puisque le volume y est un succès de librairie, aux côtés de l’imbécile et faux Protocole des Sages de Sion, alimentant le sentiment qu’il faut achever le travail d’holocauste si bien commencé par Hitler. L’on se rappelle d’ailleurs que le grand Mufti de Jérusalem, Huseyni (qui était l’oncle de Yasser Arafat), vint à Berlin rencontrer le Chancelier, qu’il avait recruté des troupes musulmanes bosniaques au service de la Waffen SS. Curieusement le Japon, produisant un Main Kampf manga, obtint un joli succès auprès de sa jeunesse, sans préjuger du degré de prosélytisme de la chose…

      Lire Mein Kampf, du moins quelques pages bien senties, fait donc partie d’une éducation à la Shoah et au totalitarisme. Education hélas impossible dans Les Territoires perdus de la République, car l’on peut, dans les collèges de Seine-Saint-Denis, « maintes fois constater un antisémitisme souvent présent, parfois virulent, de la part d’élèves issus majoritairement de l’immigration maghrébine[7] », selon le témoignage de Iannis Roder.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Tout sur Mein Kampf, l’hyperbole est évidente, cependant prometteuse si le livre est synthétique. Et c’est bien le cas. Claude Quétel prend le soin de replacer le livre dans son contexte historique, dans celui de la biographie d’Hitler, dont la figure du führer dépend de l’attente d’un chef héroïque « venu du peuple et des tranchées ». Il note que « le terme de « Juif » ou de « juiverie » est celui qui revient le plus souvent dans Mein Kampf, 446 fois ». Par exemple « le Juif sanguinaire et tyran des peuples », qui est la « tuberculose raciale ». Aussi le torchon, qui se dresse au fronton de l’humanité à l’instar d’un livre saint, est l’expression d’un « antisémitisme de combat », d’un « Etat racialiste », animé par un « fanatisme qui fouette l’âme de la foule », tout cela pour reprendre les mots du propagandiste furieux (qui se compare sans mégoter à Alexandre le grand), par ailleurs obsédé par « l’hydre française » et par une croisade contre le « judéo-bolchevisme ». Une fois ce double nettoyage et l’espace vital conquis, le paradis aryen serait à portée de main, car le national-socialisme est bien une utopie[8] affichant son indéniable totalitarisme.

      Pour avoir lu (quoique parfois en diagonale, on le pardonnera) la traduction disponible de l’indigeste pavé, l’auteur de ces modestes lignes est en mesure d’assurer au lecteur que le travail de Claude Quétel est non seulement fiable, mais plus intéressant que le livre incriminé, tant il en assume une contextualisation et une critique judicieuse. Aussi s’intéresse-t-il à la diffusion de l’opus coupable, à la question de savoir si les Allemands l’ont véritablement lu, à l’ignorance de la France, puis à la postérité entre oubli et influence, n’ignorant pas le grand succès en arabe, de l’Egypte au Liban, et surtout en Turquie où il est un bréviaire…

       « Mein Kampf annonce-t-il les crimes à venir ? », s’interroge-t-il. Hitler est clair à cet égard, associant le « Juif cosmopolite » et une « effusion de sang » promise. Mais la planification logistique au service de la chambre à gaz n’y est pas mentionnée. Et Claude Quétel ne tient pas le passage suivant pour preuve : « Si l’on avait, au début et au cours de la guerre, tenu une seule fois douze ou quinze mille de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés […] le sacrifice n’eût pas été vain ». Pourtant, y compris lorsqu’en 1939 Hitler eut menacé de réussir « l’anéantissement des Juifs d’Europe », le robinet semble ouvert par l’hitlérienne main depuis les tranchées de 14-18 jusqu’à Auschwitz…

      Il n’est donc pas absolument évident de faire le lien direct entre Mein Kampf et la Shoah. Suivre le fil baveux de la haine obsessionnelle de son concepteur ne parait d’abord pas tracer directement le chemin des chambres à gaz : aucun génocide n’y est explicitement programmé. Cependant l’abondance du champ lexical des plus bas animaux, de l’infection, « pourriture », « bacilles », « abcès », « parasite », « rats » et autres « vermines », laisse entendre l’impérieuse nécessité de l’éradication. Les Juifs chez Hitler ont tous les vices, principalement d’être antipatriotiques, au point que la haine génocidaire puisse affecter de paraitre rationnelle : « Un grand mouvement qui s’était dessiné parmi eux [les Juifs] et qui avait pris à Vienne une certaine ampleur, mettait en relief d’une façon particulièrement frappante le caractère ethnique de la juiverie : je veux dire le sionisme. » La phobie psychotique est suffisamment partagée en son temps pour que le rejet du bouc émissaire du malheur allemand prenne comme une glue inexorable.

      L’on a récemment retrouvé un hallucinant document de 1944, venu de la bibliothèque personnelle d’Hitler : Statistik, Presse und Organisationen des Judentums in den Vereinigten Staaten und Kanada (Les statistiques, la presse et les organisations juives aux Etats-Unis et au Canada), sous la plume d’Heinz Kloss. Il montre qu’Hitler, pensant vaincre les Etats-Unis et le Canada, programmait une seconde Shoah.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      « La chambre à gaz comme métaphysique et nouveau Sinaï »… Diantre, un tel sous-titre ne fait pas dans la modestie ! Mais Didier Durmarque, l’auteur de Phénoménologie de la chambre à gaz a les moyens de son ambition, à l’aide d’audacieuses et pertinences analyses et perspectives.

      L’essayiste ne peut échapper à la dimension technique du monstre : entre « invention » et « solution », il y a à la fois une continuité et une rupture sémantique, rupture de plus ontologique. L’on se doute qu’il est ici fait appel à des philosophes de la technique, comme Martin Heidegger et Günther Anders ; pour en montrer le fond le plus noir, la perversion, le scandale : « Il est remarquable que le négationnisme touche principalement la question de la chambre à gaz ». Car elle pointe du doigt l’insupportable, le néant de l’être, quoique cette question ne souligne pas le néant de l’essence de la technique, comme l’envisage l’auteur, puisqu’elle est beaucoup plus au service de la vie que de la mort.

      Décidée au début 1942, la « Solution Finale » est un programme d’euthanasie des malades mentaux et handicapés, des Tziganes, et bien entendu des Juifs, sans compter divers détenus russes, polonais, d’abord au moyen du monoxyde de carbone, puis du zyklon B. La gestion des cadavres donne lieu à des témoignages particulièrement macabres, dénonçant le cynisme brutal des Nazis. Le cynisme va jusqu’à la parodie du judaïsme : « À Treblinka, le fronton du bâtiment de gazage était orné d’une étoile de David avec, à l’entrée, une tenture provenant d’une synagogue où était inscrit : Ceci est la porte par où entrent les Justes ». Un Allemand hurla : « Vous allez tout de suite retourner chez Moïse ». Il y faut de plus une industrialisation des crématoriums. Trois millions de Juifs périrent gazés dans le cadre d’un « massacre industriel » auquel contribuèrent non seulement les Nazis patentés, mais des fonctionnaires, des entreprises, au cours d’un processus soigneusement caché. « Atopie » puisque ces lieux ne sont pas censés exister, anomie, puisque disparaissent un groupe et ses valeurs, euphémisme lorsque que les morts ne sont que « Figuren », tout conspire à la disparition, plus que d’hommes, de l’individualité, d’une religion, d’une civilisation, d’un langage. Ainsi la chambre à gaz « est objet d’existence sans être objet d’expérience », qui n’aurait pu être appréhendé sans la littérature. Rappelons que selon Hannah Arendt[9] les camps « dépouillaient la mort de sa signification », quoiqu’il faille bien reconnaître avec Didier Durmarque une « dissociation » entre le camp et la chambre à gaz.

      En conséquence du « royaume millénariste du totalitarisme technique », selon Anders, l’on s’engouffre dans l’insistance du « silence de Dieu », car dès lors « la question de l’Être n’est ni religieuse, ni métaphysique, mais technique ». À cet égard, étant donné l’antisémitisme du piètre philosophe, « la parole heideggérienne est devenue totalement inaudible », ce qu’assène avec pertinence notre essayiste. Au silence de Dieu, le Diable répond-il ? Même pas, s’il y a silence et « sortie de l’Être ». Là est peut-être le « nouveau Sinaï », où se vide l’alliance entre parole de Dieu et celle de Moïse, toutes les deux évacuées… Dans une conversation avec Hermann Rauschning, Hitler le disait lui-même : « Les tables du Sinaï sont périmées ». Peut-on oser dire avec Didier Durmarque : « la chambre à gaz est Dieu » ?

      C’est en pensant avec révérence au poème de Rachel Ertel, Dans la langue de personne, que l’essayiste avance les termes de sa réflexion :

« Et au-dessus des chambre à gaz

et des saintes âmes mortes

fumait un solitaire Sinaï éteint[10]. »

      Nanti d’une précision encyclopédique et parfaitement documenté, ce bref essai sans jargon, passe avec aisance des faits aux concepts : « La question de l’Être trouve sa solution finale dans l’essence de la technique » est une splendide formule, même si encore une fois, cette essence, d’abord humaniste, fut ici dévoyée. Il ne reste plus qu’à souhaiter que le talent philosophique de Didier Durmarque, qui en toute continuité logique consacra un volume à la Philosophie de la Shoah[11], s’attaque à ce morceau de choix qu’est ce livre parmi les plus antihumanistes de l’Histoire, nous avons, hélas, nommé : Mein Kampf.

 

      Interdire, et pratiquer un autodafé, qui sait par le gaz ? Impossible, il en resterait l’essence, il resterait auréolé par le tabou, alors qu’il ne doit valoir que comme indigeste document historique. « Le livre tombe des mains tout seul », conclue Claude Quétel. Certes, parce que ce dernier est un être aussi sensé qu’humaniste. Mais en d’autres mains, tant il y en a dont l’antisémitisme est viscéral, c’est une autre affaire, en particulier de ceux dont le meurtre de Juifs est consubstantiel à la religiosité. Or l’un des plus gracieux vocables récurrents pour qualifier les Juifs dans le texte d’Hitler est « Ungeziefer ». Signifiant vermine, il est employé par Kafka[12] dans La Métamorphose, paru en 1913, en une sorte de prémonition ; mais aussi « alten Mistkäfer » ou « vieux bousier », voire « vieux scarabée de merde », tel que la femme de charge qualifie Gregoire Samsa, avant de jeter son cadavre aux ordures. Pourtant le rôle écologique des bousiers est aussi considérable qu’indispensable : il s’agit de digérer et recycler les fèces, ici celles de l’Histoire. Hélas il y a tout lieu de croire qu’aucune chambre de désinfection morale ne sera suffisante pour éradiquer les relents abjects et récurrents de Mein Kampf

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Hitler, Mein Kampf. Eine kritische Edition, herausgegeben im Auftrag des Instituts für Zeitgeschichte München – Berlin von Christian Hartmann, Thomas Vordermayer, Othmar Plöckinger, Roman Töppel, München: Institut für Zeitgeschichte, 2016, 1948 p, 59 €.

[3] Le Point, 27-10-2015.

[4] Emmanuel Kant : « Qu’est-ce que les Lumières ? », Œuvres philosophiques, Pléiade, Gallimard, t II, 1985, p 209.

[5] http://tybbot.free.fr/Tybbow/Livres/Hitler/Mein%20Kampf%20%281926%29.pdf

[6] Emmanuel Kant : La Religion dans les limites de la raison, 1, III, Œuvres Philosophiques III, Pléiade, Gallimard, 1985, p 46.

[7] Les Territoires perdus de la République, sous la direction d’Emmanuel Brenner, Pluriel, 2017, p 105.

[10] Rachel Ertel : Dans la langue de personne, Seuil, 1993, p 182.

[12] Voir : De la justice et des avocats kafkaiens : autour du Procès de Franz Kafka et d'Orson Welles

 

 

Bousiers. Valle de Hecho, Huesca, Aragon. Photo : T. Guinhut.

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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 19:31

 

Orangerie de La Mothe Saint-Heray, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Amitié pour Allan Bloom
& pour la culture générale.

 

 

Allan Bloom : L’Amour et l’amitié,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Manent, Les Belles Lettres, 656 p, 19 €.

 

Allan Bloom : L’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale,

traduit par Paul Alexandre et Pascale Haas, Les Belles Lettres 504 p, 19 €.

 

 

 

 

      Une foultitude d’essais court sur l’amour ; ils sont bien moins nombreux sur l’amitié, plus discrète, plus exigeante, peut-être parce qu’elle éclot moins depuis les sens que depuis l’intellect. Mais au regard de la libération sexuelle, avons-nous perdu quelque chose de l’amour, comme au regard de l’individualisme avons-nous sacrifié l’amitié ? C’est, dans L’Amour et l’amitié, la thèse du philosophe américain Allan Bloom (1930-1992), veilleur sourcilleux au fronton de la culture classique, et qu’il ne faudra pas identifier à un conservatisme ronchon. Volontiers acerbe envers les bassesses de notre contemporain, il lui semble que l’éducation, se fermant peu à peu aux grands classiques, rend L’Âme désarmée, la faute au « déclin de la culture générale ». Volume d’autant plus pertinent, paru originellement en 1987, qu’il se voit ici nanti de la première traduction intégrale.

 

      Si l’on sait que l’amour est d’abord instinct sexuel et ensuite, du moins potentiellement, transcendance esthétique et éthique comme l’ont démontré les grands poètes, de Pétrarque à Shakespeare, l’on sait moins que l’amitié, plus rare, « à la différence de l’amour est forcément réciproque ». Or l’essayiste se propose de montrer « que la compréhension de l’amour et de l’amitié est la clef de la connaissance de soi ». Aussi parle-t-il d’ « Eros », bien au-delà de « sexe » et d’ « amour », ces mots qui révèlent un appauvrissement du langage, donc « un appauvrissement du sentiment ». Perte de vitesse du romantisme, désérotisation du monde », voilà ce qu’observe Allan Bloom au début des années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis, quand le « lookisme » est devenu un vice, alors que le regard adressé à la beauté n’est plus compris. Si le féminisme a dénoncé le machisme et le viol, ne risque-t-il pas, en assujettissant la sexualité au pouvoir sexiste, de déprécier ce que nous appelions « faire la cour » et la galanterie, d’oublier « la beauté de l’érotisme » ?

      Le premier Rapport Kinsey, paru en aux Etats-Unis en 1948, fut à la fois signe de libération sexuelle, mais aussi de lecture descriptive et statistique de la sexualité, qui, selon Allan Bloom, « ôte tout motif de réfléchir sérieusement sur la signification de nos désirs ». L’on pourrait tempérer ce jugement en signifiant que l’un n’empêche pas forcément l’autre, puisque la sexologie n’est pas l’art d’aimer, qu’elle n’aspire pas à la beauté ni n’inspire guère la poésie.

      Pour ce faire, il ne suffit pas, outre l’indispensable empathie, de manier l’introspection, il est nécessaire de découvrir les miroirs éclairants que sont les romanciers et philosophes, plutôt que Freud et les théoriciens de la déconstruction[1]. Allan Bloom commence par « Rousseau, le plus érotique des philosophes modernes », et achève sa réflexion panoramique de la culture occidentale par « Socrate, le plus érotique des philosophes tout court ». Stendhal, Austen, Flaubert et Tolstoï sont également les mentors d’Allan Bloom. Ces romanciers romantiques et réalistes offrent le portrait de couples, unis, désunis, et le tableau de sentiments, quand Shakespeare propose à la fois la folie de l’amour et sa promesse d’unité.

      Avec Rousseau et sa Nouvelle Héloïse, l’idéalité et la sincérité du romantisme naissant évacuait la galanterie du XVIII°. Est-on sûr que ce fut un bien ? Or l’auteur du Contrat social exhibait sa sexualité pas toujours brillante dans ses Confessions. Le désir du parfait amour coïncide avec de telles scories, ce qui fait dire à l’essayiste : « Si Freud fut du sexe le savant frigide, Rousseau en fut le savant sensuel ». Et si « Julie est la déesse de La Nouvelle Héloïse et du romantisme en général », nous ajouterons que la Sophie d’Emile ou de l’éducation est malheureusement une femme soumise…

Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Londres, 1781.

Photo : T. Guinhut.

 

      « Post-rousseauistes » sont Le Rouge et le noir, Orgueil et préjugé, Madame Bovary et Anna Karénine. Stendhal lit Jean-Jacques avec tendresse, dans un monde bourgeois qu’il décrit avec un réalisme cru et auquel il veut échapper par l’amour ; Austen avec révérence, quoiqu’elle soit plus raisonnablement féminine, parmi ses histoires de cœur inscrites dans une étroite sphère sociale abondamment moquée ; Flaubert avec nostalgie et ironie, sonnant « le glas des grands espoirs soulevés par le romantisme » ; Tolstoï avec enthousiasme, alors qu’il « nous rappelle un monde disparu dans lequel les hommes avaient le loisir requis pour essayer de faire de leur vie une œuvre d’art ». Cependant le monde de Tolstoï, où une Anna Karénine vit le « conflit entre la passion érotique et l’amour des enfants »,  n’est guère ouvert aux idées des Lumières, ce que ne regrette peut-être pas assez Allan Bloom.

      C’est à propos de Jane Austen et des personnages d’Elizabeth et Darcy, qu’Allan Bloom évoque l’amitié. Alors que chez Aristote et Cicéron elle est « miroir fidèle dans lequel on peut se voir soi-même », par contraste « l’amitié d’un couple repose sur les imperfections et les manques de chacun des partenaires qui doivent être corrigés ou comblés par l’autre. Elizabeth veut que Darcy lui enseigne tout ce qu’il a pu apprendre en sa qualité d’homme, grâce à une plus grande expérience du monde ainsi qu’à une étude plus approfondie des arts et des sciences ; de son côté elle pourra instruire sa délicatesse et civiliser ainsi sa vertu ». Nul doute qu’aujourd’hui le partage des tâches serait moins tranché. Cependant c’est ainsi que Jane Austen « célèbre l’amitié classique comme le cœur de l’amour romantique »…

      Au romantisme exalté par le sublime, succède au XX° siècle la laideur de la condition humaine et « l’omniprésence d’un sexe sans idéal ». Y-a-t-il un remède à cette déconfiture, sinon le retour à ce mystérieux Shakespeare[2] longuement commenté... Or « ses pièces nous inspirent plutôt le désir classique de comprendre le monde que l’aspiration moderne à le transformer ». Il sait dire autant l’obscène que l’amour, peindre les aspirations à l’infini, le comique et la grandeur, au sein et auprès de Roméo et Juliette, d’Antoine et Cléopâtre, mais surtout « la présence vivante du grand dieu Eros, non dans l’imitation artificielle que Rousseau et les romantiques essayèrent dans le monde bourgeois frappé de rigidité ».

      En conséquence, et c’est bien quoi ils sont précieux, les Sonnets et les pièces de Shakespeare[3] contribuent à la quête de la connaissance de soi et, en outre, « déploient un examen de l’esprit humain qui nous instruit dans la plus délicate des sciences : savoir quoi honorer et quoi mépriser, quoi aimer et quoi haïr ». Or, tendant l’arc de la polémique, Allan Bloom va jusqu’à ajouter - et nous ne le contredirons pas - : « ignorant l’abstraction stérile de nos sciences humaines comme l’indigente laideur de nos arts populaires, il est pour nous comme un miracle ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il eût été étonnant que Shakespeare omette l’amitié de son œuvre-monde : L’excellent prince Hal, futur Henri V, protège son étonnant ami, le grotesque Falstaff, qui cependant lui transmet sa connaissance de la vie et du peuple. Cette réciproque estime, quoiqu’elle soit une parodie de l’amitié selon Aristote et Cicéron, est rapprochée de celle de deux humanistes de la Renaissance : Montaigne et La Boétie. Cette dernière est l’expression de la réciproque « admiration intellectuelle […] alors que cette admiration est pratiquement ignorée de la grande masse de l’humanité ». Aussi faut-il revenir à Platon, qui « essaie de montrer dans Le Banquet que la philosophie est la forme la plus complète d’Eros ».

      Nous aurons pour lui une réelle amitié intellectuelle : la culture et la finesse de l’analyse d’Allan Bloom n’est plus à démontrer quand les auteurs s’y retrouvent mis en question, fouillés, magnifiés… Il reste cependant plus que conservateur, lorsqu’au nom des liens sacrés du mariage il approuve Tolstoï qui condamne son adultère Anna Karénine, n’y préférant pas « la facilité toujours plus grande du divorce à l’époque moderne ». En revanche, l’on ne peut que le suivre lorsqu’il affirme, sans égards pour le relativisme[4], au seuil de la lecture de Roméo et Juliette : « Que pourrait-il y avoir de plus merveilleux que d’unir le plaisir le plus intense avec l’activité la plus haute, avec les plus nobles actions et les plus belles paroles ? Car telle est la promesse de l’amour ».

      Il est évident que notre essayiste ne vise pas à une censure des mœurs. Il souhaite plutôt voir se « développer une forme de tolérance qui ne détruise pas en même temps la capacité de discriminer le bien, le mal, le noble et le bas. La tolérance requiert-elle nécessairement ce relativisme qui atteint la vie des âmes et les prive de leur droit à préférer ce qui est beau, et à en être instruit ? » À l’occasion d’une conférence d’Allan Bloom, des étudiants américains déplièrent une banderole ainsi libellée : « Grat Sex is better than Great Books ». « C’est vrai, mais on ne peut avoir l’un si l’on n’a pas l’autre », répond-il. Cependant, ajoute-t-il, « dans un monde meilleur, l’éducation sexuelle se préoccuperait de développer le goût ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      À cet égard l’appauvrissement du langage et de la lecture précipitent le « déclin de la culture générale ». C’est le trait saillant de la thèse d’Allan Bloom dans L’Âme désarmée, explicite en son sous-titre français. La déshérence de la rhétorique politique et de la rhétorique amoureuse vont de pair si l’on ne lit pas Aristote et Hannah Arendt, Pétrarque et Shakespeare. Pour reprendre le titre de l’original américain, The Closing of the American Mind, il faut dénoncer une fermeture d’esprit : vivre au présent, envisager le futur, ne peuvent se faire intelligemment si l’on s’est fermé au passé et à ses penseurs. En ce sens, il s’agit d’un vaste pamphlet, argumenté avec ardeur et finesse, adressé à l’esprit américain. Que dirait-il aujourd’hui de la chape de plomb du politiquement correct dans certaines universités, de l’idéologie socialiste et écologiste qui ne craignent pas de subvertir les faits, d’évacuer une démarche scientifique et philosophique, de l’ignorance crasse de l’homme de la rue et des médias…

      Ainsi nihilisme et relativisme encombrent les universités d’Amérique et d’Europe, pour entraver la recherche de la vérité et la noblesse de l’âme : « le vrai mobile, à savoir la recherche d’une existence meilleure, a été étouffé par le relativisme ». Au-delà des objurgations économiques et sociales, l’éthique de l’enseignant, plutôt que la déséducation idéologique[5], doit permettre de conduire ses étudiants vers la grandeur de la culture. Au-delà des clichés de l’époque, l’enseignement doit, à l’aide des grands livres, tenter de réponde à cette question : « Qu’est-ce que l’homme ? », « Quelle fins morales doit-on se proposer ? » Ce à travers une réflexion rationnelle et non autoritaire, non fanatisée…

      Or l’on serine que toutes les cultures sont équivalentes[6] ; ce qui est une démission de l’esprit, de la connaissance et du jugement. Ce n’est pas de l’ethnocentrisme que de s’appuyer sur des critères de liberté, de prospérité, d’éducation, de santé, sur la constitution américaine, pour définir ce que peut être le meilleur de l’humanité. En tous cas pas avec le concours de la tyrannie de la majorité ou de celle des minorités, raciales, religieuses ou sexuelles, ni avec la démagogie. Ainsi « l’engagement [est] la nouvelle valeur politique qui remplace la raison ». En effet s’engager n’est pas une preuve suffisante de la validité de la cause, qu’elle soit nazie (pensons à Heidegger), communiste (puis à Sartre), ou bien libérale au sens classique du terme[7] et au service des droits universels…

Platon : Oeuvres, Charpentier, 1869. Photo : T. Guinhut.

 

      La perte de vitesse des grands livres, comme la Bible, si discutable que soit cette dernière, ou La République de Platon, également discutable cette fois pour des raisons politiques, entraîne le risque de ne plus aspirer à devenir des sages. Face à la diminution de la lecture, l’omniprésence de la télévision, puis des médias et jeux numériques, si elle est concomitante avec l’élévation générale du niveau d’instruction, souvent au sens technique du terme, empêche une vaste élévation culturelle et morale : « Du fait de la méconnaissance des bons livres, les jeunes deviennent les dupes de tout ce que d’insidieux charlatans leur offrent en guise d’interprétation de leurs sentiments et de leurs désirs ». Comme lorsqu’un féminisme accuse les œuvres du passé d’être sexistes.

      Hors les amateurs cultivés, la jeunesse n’écoute ni Bach, ni Schubert, ni Wagner ; alors qu’ils sont soumis à « une véritable intoxication par la musique ». Or « selon Platon et Nietzsche, l’histoire de la musique est une série de tentatives pour conférer forme et beauté aux forces obscures, chaotiques et prémonitoires de l’âme ». Mais le rock « excite le désir sexuel » au moyen de son rythme puissant et barbare. Et encore Allan Bloom n’eut guère le temps de connaitre le rap ! Voici une pierre de touche apporté au débat entre musique savante et musique populaire[8]. Une telle marée rock, pop et rap, grégaire de surcroit, qui n’est justifiée que par le trivial « c’est mon choix », ne favorise pas l’éducation du goût et l’art de la distinction.

      L’on rétorquera qu’Allan Bloom se montre un peu prude, voire fermé d’esprit. Ce serait lui faire un injuste procès. Il n’accuse pas Mick Jaeger et consorts de contribuer aux drogues, au sexe et à la violence, mais de susciter une sous-culture de masse et « une difficulté insurmontable à établir une relation passionnée avec l’art et la pensée qui sont la substance même de la culture générale ».

      Egocentrisme, égalitarisme, racialisme (qu’il s’agisse d’un « suprématisme noir » ou de discrimination positive), libération sexuelle, féminisme radical, (« la liberté sexuelle n’a bénéficié que d’un très bref instant ensoleillé avant d’être à nouveau bridée pour satisfaire la sensibilité féministe »), isolement de l’individu, divorce, érotisme « infirme », rien n’échappe à l’examen sans concession de notre essayiste. Il rejette ce qui en fait « aboutit, comme beaucoup de mouvements modernes qui recherchent une justice abstraite, à l’oubli de la nature et au recours à la force pour refaçonner les êtres humains afin de réaliser la justice ». Mais à cet égard, Allan Bloom rappelle que Platon, dans La République, envisage sérieusement un communisme sexuel[9]. Il reconnait également que, grâce à l’évolution des mœurs, nombre de problèmes des héros de romans classiques liés à la gestion sexuelle deviennent passablement obsolètes.

      Quant au domaine philosophique plus contemporain, il s’agit de dénoncer les influences d’un Nietzsche et d’un Heidegger (dont le nazisme était « un corollaire de sa critique du rationalisme ») qui ont pour conséquence le relativisme des valeurs : « La démythification de Dieu a nécessité une description nouvelle de la nature même du bien et du mal ». Ce qui est concomitant du judicieux anathème jeté sur l’abus du mot « culture » appliqué à tout et n’importe quoi. Si la culture se dit maintenant au pluriel, faut-il n’y voir qu’un progrès, quand la noblesse des valeurs périclite au contact du relativisme ? Où se glisse la dignité humaine dans le choc entre universalisme et particularismes ? Ainsi « le rationalisme occidental a abouti à un rejet de la raison : est-ce un résultat nécessaire ? »

      L’on pourra discuter sa vision de la science comme découverte et non comme « créativité », son admiration récurrente pour un Rousseau qui est moins un ancêtre de la démocratie libérale que de Marx, ce « fossile » dont il pense trop facilement qu’il est considéré comme dépassé alors qu’il innerve encore une délétère volonté de puissance du ressentiment, et penser que parfois il se laisse un peu entraîner par son argumentation qui frise par instant la satire à l’emporte-pièce, par exemple lorsqu’en 1969 « l’université avait abandonné toute prétention à étudier ou à informer sur la valeur » ; même si elle n’a guère su résister à la pression des masses, y compris des Noirs radicaux, et à l’idéologie révolutionnaire ; car « les impulsions tyranniques se sont fait passer pour de la compassion démocratique ». De même, faut-il le suivre totalement lorsqu’il constate un déclin mortel de la philosophie aux Etats-Unis, de plus inféodée par le « déconstructionisme […] dernier stade, peut-on prédire, de la suppression de la raison, la négation ultime de l’idée qu’une vérité philosophique est possible » ? Il est vrai qu’il serait ulcéré de constater aujourd’hui combien l’université américaine est parfois tyrannisée par les sensibilités exacerbées des minorités raciales, religieuses et sexuelles… Reste que l’essai est plus que vivifiant pour l’esprit. Et si nous ne rendons pas justice à tous les aspects de ces essais qui associent une lecture aisée à une érudition profonde et à des mises en perspectives audacieuses, considérons qu’il s’agit d’une courtoise invitation à s’y plonger encore…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      N’en déplaise aux livres essentiels d’Allan Bloom, il est à craindre que l’âme, qu’elle soit socratique ou chrétienne, ne soit qu’une grande fiction. Or que nous ayons été désarmés puisque privés des grandes grilles de lectures métaphysiques est indéniable. Mais n’est-ce pas un bénéfice que de pouvoir forger notre liberté morale, érotique et intellectuelle, moins dans l’ « âme » que dans l’esprit ? Reste que désarmés sont ainsi les esprits faibles, armés de leur seul caprice et volonté, tournés vers le plaisir, mais aussi vers le mal, vers le pouvoir tyrannique. Aussi, avec Allan Bloom, qui sut traduire en anglais aussi bien La République de Platon que l’Emile de Rousseau, nous ne pouvons que plaider l’amitié des grands livres pour nous guider vers le bien, la paix et la beauté de l’Eros, comme en leur temps étaient ami Aristote et Platon. Tout en rejetant aux oubliettes du politiquement correct le plus abject l’idée selon laquelle l’écrivain du passé est « le suppôt de tous les préjugés pernicieux », soit le sexisme et l’exploitation par le pouvoir, selon une grille foucaldienne. Être conscient des faiblesses de l’époque ne doit pas empêcher d’apprécier l’autorité des grands auteurs à leur juste valeur et beauté, ni empêcher de tacler les préjugés d’aujourd’hui. L’éducation libérale[10] et l’amour des belles lettres qui doivent conduire le retour à la culture générale ne signifient ni passéisme stérile ni refus de construire l’avenir qui nous incombe ; bien au contraire. Il est entendu que la culture générale n'est pas qu'une collection disparate de connaissances, mais une mise en relation des connaissances avec la dignité humaine au moyen de la lecture des grands livres de l'humanité...

      Un beau livre d’amitié a rendu hommage à Allan Bloom : il se nomme Ravelstein[11]. Ce portrait d’un brillant professeur de philosophie, autant caractérisé par  sa prodigalité ruineuse que par son érudition chaleureuse, qui fait fortune en publiant un excellent essai destiné au grand public et meurt du sida, est très largement inspiré par l’auteur de nos deux essais. C’est avec ironie qu’il lui fait côtoyer le pop-rocker Michael Jackson dans les suites de l’Hôtel Crillon. Saul Bellow a-t-il outrepassé les limites de l’amitié en révélant l’homosexualité du maître ? En son intense et contrasté roman biographique, a-t-il voulu souligner une dimension socratique essentielle ou anecdotique, entre « l’amour rousseauiste et l’éros platonicien ? Ou encore contribuer à la légende d’une incontestable figure de l’éducation libérale…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[3] Allan Bloom : Shakespeare on Love & Frienship, University of Chicago Press, 2000.

[9] Platon : La République, V 451-466.

[11] Saul Bellow : Ravelstein, Gallimard, 2002.

 

 

Orangerie de La Mothe Saint-Heray, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 14:28

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Christine de Pizan,
poète féministe du Moyen-âge flamboyant :
Cent ballades d’amant et de dame ;
La Cité des dames ; L’Epitre d’Othéa.

 

 

 

Christine de Pizan : Cent ballades d’amant et de dame,

traduit du français du XIV° siècle par Jacqueline Cerquiglini-Toulet,

Poésie Gallimard, 2019, 336 p, 10 €.

 

Christine de Pizan : La Cité des dames,

traduit par Thérèse Moreau et Eric Hicks, Stock, 2005, 312 p, 18,50 €.

 

Christine de Pizan : L’Epitre d’Othéa, PUF Sources, 2008,

traduit par Hélène Basso, 194 p et 152 p, 45 €.

 

Inès Villela-Petit : L’Atelier de Christine de Pizan, BNF éditions, 2020, 144 p, 29 €.

 

Le Moyen-âge flamboyant. Poésie et peinture,

Diane de Selliers, 2006, 380 p, 190 €.

La petite collection, 2021, 400 p, 49 €.

 

 

 

 

      Mesdames, qui vous plaignez que l’histoire de la littérature n’ait pas fait assez place aux femmes, qu’attendez-vous pour vous mettre au travail, écrire l’une des œuvres marquantes et rêvées, pour être un Dante ou un Proust féminin ? En attendant cette alléchante perspective, il est encore temps de se pencher sur les plumes de ces dames, plus que délectables, et parfois occultées. Comme Murasaki Shikibu, Madeleine de Scudéry, Ayn Rand[1] ou Yoko Ogawa[2] pour le roman, Simone de Beauvoir et Hannah Arendt[3] pour la philosophie, Emily Dickinson[4] pour la poésie. Notre Moyen-Âge lui-même ne fut pas en reste à cet égard, avec Hildegarde Bingen[5], Marie de France, dont les Lais [6] viennent d’être bellement éditées en Pléiade, et Christine de Pizan. Cette dernière mérite aujourd’hui notre amicale et tendre attention. Non seulement elle cisèle Cent ballades d’amant et de dame, tout autant que l’Epitre d’Othéa, mais il faut sans nul doute la compter comme l’ancêtre d’un intelligent féminisme, grâce aux pages ardentes judicieuses de La Cité des dames, qui brillent au cœur du Moyen Âge flamboyant révélé par Michel Zink et Diane de Selliers.

 

      Probablement Christine de Pizan est-elle la première femme de lettres à vivre de sa plume. Née en 1364 à Venise et décédée en 1430 à Poissy, elle a malheureusement glissé dans l’oubli après la Renaissance, pour ne retrouver qu’au XX° siècle la reconnaissance qui lui est souverainement due. En effet son autorité littéraire s’étendait jusqu’aux domaines politiques, philosophiques et historiques, sans oublier la poésie. Aussi c’est suite à une commande que furent rédigées les Cent ballades d’amant et de dame, ce qui n’ôte rien à leur sincérité. Mieux, c’est à un défi qu’elle doit répondre : réparer les griefs faits à Amour dans un ouvrage précédent, Le Livre du Duc de vrais amans. N’avait-elle pas, au travers de la voix de son personnage, « Sybille de la Tour », tenté de détourner une dame d’aimer ! Ainsi le nouveau recueil peut être lu et offert en guise de « gage dans un jeu courtois », pour reprendre la belle formule de la préfacière et traductrice.

      Un amant et une dame, qui ne sont pas nommés, dialoguent, quoique le mari jaloux, irrités par les médisants, s’interpose à l’occasion de la quarante-deuxième ballade. Menacé de mort par l’Amour, l’amant convainc progressivement la dame jusqu’au baiser, lors de la ballade soixante-quatre. Mais les obstacles à l’union, les séparations, dont un voyage « Du bon, bel et gracieux / Qui navigua en mer / Loin dans une contrée sauvage », les retrouvailles, la difficulté de rester fidèle à l’honneur chevaleresque, le combat du temps contre l’ardeur du sentiment, « les médisants qui avaient préparé / contre nous un dur breuvage », les soupçons de la jalousie enfin entre les deux protagonistes conduisent à l’affaiblissement de l’amour jusqu’à sa mort. Par-delà le prologue, les cent ballades se referment avec le « lai de la mort », qui, prédit la dame, « Me fera tourner en cendre ».

      Sous le couvert d’une intrigue apparemment simple, de la convention de la poésie courtoise, un véritable art d’aimer et de désaimer est divulgué. Pour ce faire, Christine de Pisan use d’allégories, comme « Amour », « Raison », « Fortune » ou « Mort », d’oxymores, comme « paix haineuse », ou « haine amoureuse ». Les métaphores les plus heureuses balisent le discours : « Que deviendra mon cœur quand je reverrai / Mon doux médecin ? »

      Le chiffre cent vise à une certaine perfection, comme lors des dix nouvelles des dix narrateurs du Décaméron de Boccace. La subtile composition joue avec les chiffres pour placer au numéro cinquante la lassitude des aventures guerrière de l’amant qui s’écrie : « Ah ! Mieux vaut être couché entre deux draps / Douce dame, et vous tenir dans mes bras ! »  Au refrain de la centième et dernière ballade, l’on peut lire : « En escrit y ai mis mon nom » ; « En escrit » étant l’anagramme de Crestine…

      En traduisant le français du début du XIV°, Jacqueline Cerquiglini-Toulet parvient à respecter quelques-unes des rimes de l’original, tout en veillant, tant que faire se peut, à conserver le rythme des vers. Et bien sûr celui de la ballade, le plus souvent composée de trois couplets et d’une demi-strophe, l’envoi, et nantie d’un refrain. L’édition heureusement bilingue permet de retrouver la voix et le suc du lyrisme d’antan. Par-delà six siècles, ce recueil poétique, émouvant et beau, nous parle toujours…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Le terme étant né sous la plume de Charles Fourier en 1837, ce serait un peu anachronique de dire que Christine Pizan fut féministe. Cependant elle mit toute son énergie à défendre la cause féminine, d’une part en s’opposant à la misogynie de Jean De Meung affirmée dans son Roman de la rose[7], d’autre part en rédigeant en prose sa fameuse Cité des dames. Une sorte de songe, l’apparition lumineuse de trois dames, « Raison », « Droiture » et « Justice », va la convaincre d’édifier son ouvrage.

      C’est évidemment d’une allégorique cité qu’il s’agit, répondant à La Cité de Dieu de Saint-Augustin[8]. Adaptant un texte de Boccace, Des Dames de renom[9], elle engage ces dernières dans une entreprise bien plus vaste. En effet toutes les dames de l’Histoire, biblique et de l’Antiquité, et en particulier les Amazones, sont ici énumérées au service d’une argumentation en faveur de la féminité et en tant que métaphorique matériau. Or cette cité est construite en trois étapes. D’abord « l’impulsion » au service de la fondation dans « le champ des Lettres » avec « la pioche de ton intelligence ». Puis les murs, l’édification des bâtiments intérieurs, enfin les toitures et « quelles furent les nobles dames choisies pour peupler les grands palais et les hautes tours ». Le monument est un rempart contre la barbarie faites aux femmes, contre l’ignorance dans laquelle on préfère les laisser. Aussi plaide-t-elle en faveur de leur éducation : « Je m’étonne fort de l’opinion avancée par quelques hommes qui affirment qu’ils ne voudraient pas que leurs femmes, filles ou parentes fassent des études, de peur que les mœurs s’en trouvent corrompues. […] Cela te montre bien que les opinions des hommes ne sont pas toutes fondées sur la raison, car ceux-ci ont bien tort. On ne saurait admettre que la connaissance des sciences morales, lesquelles enseignent précisément la vertu, corrompe les mœurs ».

      La dimension polémique prend en faute les préjugés misogynes. Comme celui d’Aristote et des aristotéliciens pensant que c’est « par débilité et faiblesse que le corps qui prend forme dans le corps de la mère devient celui d’une femme ». De plus, elle est « navrée et outrée d’entendre des hommes répéter que les femmes veulent être violées et qu’il ne leur déplait point d’être forcées, même si elles s’en défendent tout haut ». Ainsi elle affirme l’égalité des sexes, s’insurge contre le viol et le mariage forcé avec des vieillards, auquel cas elle préfère, « me sentant jeune et débordante de vie […] prendre un amant » !

      L’actualité de Christine de Pizan, considérablement en avance sur son temps, est surprenante. Certes, venue d’un milieu aisée et payée pour son travail par ses mécènes princiers, elle avait le bonheur d’avoir une écritoire et une « chambre à soi », pour reprendre la formule de Virginia Woolf[10]. Mais elle n’omit pas de souhaiter, dans Le Livre de la Mutation de Fortune, un autre de ses ouvrages, que cette dernière la prenne en pitié et la change en homme. Malgré l’abondance des femmes politiques et guerrières, des femmes savantes (et non au sens ironique de Molière), malgré leur chasteté, leur patriotisme, toutes ses qualités mises en avant par notre femme de lettres n’ont guère fait avancer les mentalités avant le vingtième siècle. Or « l’étude inlassable des arts libéraux », telle qu’elle la pratique et la vante, fait venir l’esprit aux femmes, donc à l’humanité, qui ne doit pas ignorer que « l’excellence ou l’infériorité des gens ne réside pas dans leur corps selon le sexe, mais en la perfection de leurs mœurs et vertus » ; aujourd’hui l’on ajouterait plutôt que dans leur couleur de peau…

 

Photo : T. Guinhut.

 

      Visiblement copistes et enlumineurs (quoiqu’ils fussent parfois féminins) n’en ont pas pour autant dédaigné de calligraphier et de peindre cette Cité des dames, comme tant d’autres de ses œuvres. Par exemple, celle que les éditions PUF, associées à la Fondation Martin Bodmer, sise à Genève, ont publié, dans leur merveilleuse collection « Sources » : l’Epître d’Othéa à Hector, sur la « droite chevalerie ». Plus exactement un fac-simile d’un manuscrit réalisé vers 1460, probablement à Bruges par un copiste adroit et un enlumineur virtuose et à l’intention d’un grand bibliophile du temps : Antoine, Grand Bâtard de Bourgogne. Notons que ce coffret de deux volumes reliés, l’un pour le fac-simile, l’autre pour la traduction en français moderne, est préfacé par la même spécialiste diligente qui préside à nos Cent ballades d’amant et de dame : Jacqueline Cerquiglini-Toulet.

      Déesse de la Prudence, la plus précieuse des vertus cardinales, Othéa, dont le nom vient peut-être d’O Theos, et derrière laquelle réside Christine de Pizan elle-même, rédige une lettre pédagogique destinée à Hector de Troie, un chevalier de quinze ans. Alors que son propre fils, Jean de Castel, a quinze ans en cette année 1400. Outre son métier, elle lui enseigne ses devoirs moraux et spirituels. Manuel d’éducation et mythologie se répondent, au travers de figures exemplaires.

      Là encore ce sont cent poèmes, plus exactement des quatrains, didactiques et délibératifs, soit des conseils, à chaque fois suivis d’une « glose » et d’une « allégorie interprétative » en prose. À travers l’éloge et le blâme de Cadmus ou de Narcisse, le jeune destinataire se voit découragé du vice et encouragé à la vertu :

« Toutes les vertus, tu les entes et les plantes

En toi. Tout ainsi qu’Isis fait les plantes

Et l’ensemble des grains fructifier

Toi, tu as le devoir d’édifier. »

      Ainsi les armes, l’amour et la sagesse sont le triptyque sur lequel repose l’éducation d’un prince.

      L’œuvre de Christine de Pizan est d’importance, abondante, voire démesurée. Pensons à son Chemin de longue étude, achevé en 1402, un poème encyclopédique prolixe, puisqu’il chante en quelques six mille vers le voyage en rêve de l’auteure vers le Parnasse et différents Ciels, là où Dame Raison et autres personnages allégoriques cherchent le remède aux maux de l’humanité en imaginant un Roi aux sages vertus. Elle fut chargée ensuite de faire l’éloge d’un roi plus réaliste : Charles V. Ses talents étaient éclectiques, appréciés par nombre d’illustres protecteurs, au point qu’elle écrivit un ouvrage sur l’art militaire, le Livre des Faits d’Armes et de Chevalerie, et un autre sur l’art de gouverner le peuple, le Livre du Corps de Policie. Elle commit également en 1407 une étrange autobiographie, l’Avision, toujours dans une dimension allégorique, depuis son enfantement dans le ventre du Chaos jusqu’à sa rencontre avec Philosophie. Marquée par les maux des guerres qui ravagent la France, elle écrivit une Lamentation et, en 1413, un Livre de la Paix, pour achever son œuvre avec un éloge : Le Ditié de Jeanne d’Arc. Reste à l’édition de s’emparer de ces titres, pour notre plus grand bonheur.

Cette femme impressionnante fut de surcroît engagée dans les débats politiques et intellectuels de son temps, créa son propre atelier de copie, fut sa propre libraire, non sans exécuter de sa fine main cinquante-quatre manuscrits originaux. Pour s’en convaincre, invitons le lecteur à découvrir le livre précisément informé (et illustré) d’Inès Villela-Petit : L’Atelier de Christine de Pizan. La poétesse était également une entrepreneuse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Poésie, roman, essai allégorique, peinture et musique sont les ingrédients du flamboiement culturel médiéval. Comme pour Hildegarde de Bingen, comptons parmi les merveilles du Moyen-âge la reine de la Cité des dames. Il n’est pas étonnant qu’avec deux ballades et un virelai Christine de Pizan figure en bonne place parmi les pages de l’écrin du Moyen-Âge flamboyant, l’un de ces volumes somptueux dont l’éditrice Diane de Selliers a le secret. Ce sont cent-dix poèmes du XII° au XV° siècle, illustrés grâce à deux cents manuscrits français des XIV° et XV° siècles, le tout préfacé par Michel Zink, spécialiste des troubadours[11]. Cette poésie de cour et d'amour ne peut que transmuer et enchanter notre vision d'une ère que l'on aimait à penser obscure. La liberté d'esprit, la tendresse, le respect et le raffinement, voire le badinage, sont parmi tous ces vers, lisibles en français moderne aux côtés des originaux en langues d'oc et d'oïl. L'on a rarement vu autant de manuscrits enluminés de coloris époustouflants comme en ce beau livre, cités féériques, dames et chevaliers, luxure et vertu, jardins et enfers, guerre et paix, art de vivre et de mourir. Ce sont également de précieuses allégories, comme celle du Duel entre Cœur et Courroux, peint vers 1460, auquel répond une chanson de Chrétien de Troyes : « Un cœur insensé, léger, volage, / Ne peut rien apprendre d'Amour. / Tel n'est pas mon propre cœur : / Il sert sans espérer de merci. »

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[6] Marie de France et autres auteurs : Lais du Moyen-Âge, La Pléiade, Gallimard, 2018.

[7] Jean de Meung et Guillaume de Lorris : Le Roman de la rose, Le Livre de poche, 1992.

[8] Saint Augustin : La Cité de Dieu, La Pléiade, Gallimard, 2000.

[9] Boccace : Des Dames de renom, Ombres, 1998.

[10] Virginia Woolf : Une Chambre à soi, 10/18, 2001.

[11] Michel Zink : Les Troubadours, Perrin, 2017.

 

 

Photo : T. Guinhut

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21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 18:19

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Nuits debout et violences antipolicières :

Gilets jaunes et Nuit debout,

une inversion des valeurs ?

 

 

 

 

      « La garde civique / a le fâcheux renom d’être fort pacifique ! / Aussi les malandrins, sûrs de l’impunité, / Opèrent à sa barbe avec sérénité[1] ». Ainsi Shakespeare prévenait les casseurs de leur impunité. En marge et au cœur du mouvement des Gilets jaunes de l’hiver 2018-2019, de « Nuit debout » et des « mobilisations » syndicales contre la « Loi travail » au printemps 2016, violences policières et violences antipolicières s’affrontent en un champ de bataille qui gangrène la cité démocratique et prétendument libérale. Tandis que jeunes et moins jeunes coagulés passaient des nuits debout, et donc des jours couchés, que les blessés policiers furent outrageusement plus nombreux que les manifestants blessés, ne faut-il pas lire en ces phénomènes une inversion des valeurs ? Tandis que le peuple assujetti à la tyrannie économique et fiscale tente un mouvement de libération qui s’affiche en jaune, se ravive une sanglante tyrannie policière, armée de violences dont elle n’oserait user contre l’extrême-gauche et les banlieues immigrées, elles-mêmes fers de lance d’une guerre anti bourgeoise, anti-occidentale et antipolicière.

Violences en pays de Gilets jaunes

      À l’occasion d’un hiver vêtu de gilets jaunes, la répression policière devient indécente ; au point que si la Russie en faisait autant, un Poutine serait universellement vilipendé, que si les Etats-Unis en faisait un trentième, un Trump serait voué d’éternité aux gémonies, sans parler d’une victime palestinienne ! La police française est en Europe l’unique à user de « Lanceurs de Balle de Défense » et de grenades explosives parmi des manifestants, sans compter la stratégie de nasse qui vise piéger ces derniers afin de les matraquer à plaisir et sans vergogne. Certes nous n’avons pas souvent de vidéos qui permette de juger en tout état de cause, lorsqu’elle ne nous proposent que des fragments : que s’est-il passé quelques instants plus tôt et qui légitimerait une violence policière légale destinée à rétablir la paix et la sécurité ?

      Les blessés sont fort nombreux, les mutilés, les éborgnés à vie. Des vidéos révèlent des tirs au hasard de la foule et de la fumée ambiante, mais à hauteur de visage ! Franck, 20 ans, a perdu son œil droit et porte une plaque de titane du front au menton suite à un tir de Lanceur de Balle de Défense le 1er décembre 2018. Jérôme Rodrigues, filmant une manifestation a reçu dans l’orbite un tir de Lanceur de Balle de Défense, a perdu son œil droit, comme une vingtaine d’éborgnés. Cinq autres ont vu leur main arrachée, y compris devant l’Assemblée nationale à Paris, en tentant de rejeter une grenade. L’on a vu des quidams aspergés de gaz lacrymogènes sans nécessité aucune. Une femme âgée mourut d'un arrêt cardiaque après avoir ainsi agressée en plein visage.

      La France est le seul pays d’Europe à utiliser ces flash-balls et ces grenades explosives contre ses manifestants, de plus, répétons-le, en visant visage toute, donc avec une intention qui n’est pas loin de l’homicide volontaire. Alors que la police allemande privilégiant la prévention, la  négociation et la psychologie des masses, isole les individus violents. La brutalité policière semble le plus souvent disproportionnée et arbitraire contre les Gilets jaunes, visant visiblement à dissuader les manifestants de récidiver : ce  serait-ce une grave atteinte à la liberté de manifester ? Notons qu’un Gilet jaune interpellé, même par erreur, est aussitôt fiché, dans le cadre du Traitement des Antécédents Judicaires. Toutes ces atteintes aux libertés et à la sécurité affectent également des journalistes, insultés, humiliés, frappés.

      Gageons que si, au lieu de cocus de la fiscalité, de ploucs blancs et franchouillards (on devine ici le mépris des édiles de l’Etat), les morts, les éborgnés et les mains arrachées avaient été des ultragauchistes, ou avaient été noirs, arabes et musulmans venus des cités islamisées et épargnées par la République, l’on eût droit à mille cris d’orfraies, cent procès, dix milles explosions des banlieues, semées d’émeutes et de vagues de pillages, comme pendant les trois semaines de l’automne 2005, sinon pire…

      Cette police qui a pour mission de protéger les citoyens, y compris manifestants, glisse-t-elle vers la répression aveugle, aux ordres d’un pouvoir exténué ? Alors qu’elle joue avec la plus grande dignité son rôle en assurant la sécurité d’un Philippe Val, de Charlie Hebdo, face au terrorisme islamiste, n’est-elle pas la proie et le signe d’une inversion des valeurs, s’adjugeant un droit à la criminalité ?

      Un mouvement passablement spontané s’est vêtu de la détresse des gilets jaunes, celui des oubliés du pouvoir d’achats, assommés par un Etat surtaxateur[2]. Le voilà débordé, vidé de l’intérieur par l’utragauchisme, par ses black-blocs, qui jouent les héros politiques d’une cause supérieure[3], mais aussi les pathétiques protagonistes de roman policier[4]. Le voilà également débordé par ses cégétistes anticapitalistes (dont l’un des militants enfonça au moyen d’un transpalette la porte d’un ministère), de surcroit par la racaille islamiste,  casseurs de vitrines pillées et de flics. Des bandes anarchistes entraînées et équipées sèment la violence et le vandalisme dans les villes, quand des bandes ethniques et religieuses sèment la violence et le pillage, armés de casques, foulards, cocktails Molotov, bouteilles d'acides, barres de fer, jets de pierres et de boules de pétanque, armes de poings, violences dont les premières victimes sont les policiers et leurs véhicules matraqués et incendiés. Mais aussi les grilles de l’Assemblée Nationale, une vitrine de librairie, qui a le tort d’expose des ouvrages de droite traditionnaliste, voire fascisante. Alors que les idées se combattent d’idée contre idées, non à coup de barres de fer.

      Ainsi dénombre-t-on 1.300 blessés parmi les forces de l'ordre et les pompiers, selon le ministère de l'Intérieur. Sans omettre les destructions diverses réalisées par des Gilets jaunes, ou du moins ceux qui s’emparent de ce commode uniforme et paravent, donc les casseurs, qui se montent à des dizaines et des dizaines de millions d'euros. Sans compter les salariés mis au chômage partiel ou total, et les commerçants ou artisans dont l'activité a pu se réduire au point de les décimer…

      Les Gilets jaunes sont peu à peu vidés de leur substance. Bouc émissaires d’une violence qui n’est que parfois la leur, d’un antisémitisme qui n’est que rarement le leur, c’est ainsi qu’ils sont salis par une populace contestataire à l’encontre de la démocratie libérale, par le pouvoir politique et un pouvoir médiatique, de façon à légitimer violence policière et rehausser le blason pourri d’un pouvoir aux abois. Bien au-delà des jaunes revendications originelles contre la surtaxation étatiques, ce sont les rouges, les noirs et les verts[5], ultragauchistes, anarchistes et islamistes, qui ont pris la relève, comme des sangsues, zadistes et black-blocs, vegans et cégétistes, écolos radicaux, antisionistes et antisémites, propalestiniens et nazislamistes, tant de groupuscules exponentiels dont on connait les antécédents parmi les manifestations de Nuit debout et dont certains visent explicitement à l’assassinat parmi les forces de l’ordre.

Les paradoxes de Nuit debout

      Replaçons dans son contexte idéologique le mouvement « Nuit debout[6] » qui s’assit sur les places de la République. Dans le sillage d’ « Occupy Wall Street », de Siryza en Grèce, de Podemos en Espagne, l’ultra gauche entend phagocyter les medias en même temps que crier sur les toits son opposition viscérale au libéralisme économique et au  capitalisme financier international. Et remettre les manifestations anti Loi travail dans cette tradition mai-soixantehuitarde qui fit les beaux jours du mouvement anti Contrat Première Embauche en 2006. Ainsi, avec l’aval gourmand des partis, syndicats et mouvances de gauche, d’Attac et Sud, l’on manifeste contre une tentative avortée de libérer le travail, favorisant de fait le chômage, la précarité et la pauvreté.

      Au hasard des revendications de Nuit debout, l’on trouve : « Désinvestissement des énergies fossiles », « Dissolution des élites politiques », « Sortir du capitalisme par la démocratie radicale », « Instauration du revenu universel de resocialisation », « Abolition de la propriété privée », « Stop à la numérisation qui fait disparaître des emplois », « Occupation des logements et des bureaux vides », « Plafonnement des salaires », « Semaine de quatre jours, travaillons moins pour travailler tous », « Le RSA pour les 18-60 ans à 1500 € et le SMIC à 3000 € », « A bas la hiérarchie, Mort aux méritocrates », « Supprimer le lien entre travail et salaire »[7]. Sans oublier les panneaux et banderoles, fleurant bon mai 68 : « Rêve général », « Argent gratuit ». Mais aussi : « Sur le pont d’Avignon, on y pend tous les patrons » ! Lors des assemblées de Nuit debout, chacun peut prendre la parole cinq minutes durant. Ce qui parait aux crédules une bonne liberté et une respectueuse écoute. Mais un moment vient ou l’égalité de tous les discours, quelques soient leurs qualités ou leur introuvable pragmatisme, est à la fois contre-productive et désastreuse pour l’élévation intellectuelle, si tant est que l’on y laisse s’exprimer qui aurait l’audace de penser autrement...

      S’y mêlent des utopies naïves, évidemment irréalisables, dont on pardonnerait la puérilité si tant de sérieux anticapitalisme ne s’y lisait, des professions de foi égalitaristes anti-hiérarchie et anti-mérite qui ne visent qu’à aligner la médiocrité générale d’une ochlocratie[8] de façon à rabaisser les puissants, les créatifs et les indépendants, aligner les individualistes sur les collectifs, en une tyrannie qui ne dit pas son nom, et dont on peut lire le tableau désastreux dans l’excellent roman d’Ayn Rand : La Grève[9].  Mais aussi de réels appels au meurtre des flics et des patrons en un autre racisme éhonté, sans penser que ceux qui rêvent de pendre le patronat, comme des Robespierre d’une nouvelle Terreur, handicapent ainsi non seulement leur salariat futur, à moins de devenir les esclaves de leur propre communisme égalitariste, mais également leur capacité de devenir leur propre patron grâce à leur capacité entrepreneuriale (s’il en en ont) et d’embaucher au service de leur entreprise et de la société toute entière. Une valeur meurtrière et in fine suicidaire remplace alors les valeurs de vie, de travail et de créativité.

      Hélas, le pique-nique nocturne aux papiers gras spontanés est manipulé par de futurs hiérarques du Parti Socialiste et autres opuscules gauchistes, hélas le rêve jeune qui se prend en grand sérieux ne suce que l’illusion du « vivre ensemble » et d’ « une autre politique possible » ; en fait le lait ranci de vieilles idées fumeuses, anarchisantes et marxisantes, en une Nuit des boues. Le réalisme, le pragmatisme, les connaissances historiques, politiques, et surtout économiques, l’esprit des Lumières enfin, n’ont guère droit de cité.

Nuits et jours de la violence

      De surcroit, en marge des Nuits debouts, sans que l'on sache si un paisible Nuit debout n'a pas l'instant d'avant caché ou jeté dans une poubelle son sac-à-dos rempli de blouson noir, lunettes, cagoule, boulons et cocktails Molotov, et en marge des manifestations contre la loi travail de la ministre El Khomri et du gouvernement Hollande, c'est la violence verbale et physique qui est à la fois militante, gratuite et festive. Notons d'ailleurs à cet égard que les manifestations contre le Mariage pour tous, en 2013, quoique bien plus nombreuses, ont fait preuve d'une constance abondamment paisible (à l'exception de heurts après la dispersion d'un cortège) ; question de culture des acteurs...

      Cette militance est extrême-gauchisme, post-trotskisme, toutes armures idéologiques qui n’ont pourtant pas passé le brevet de service rendu à l’humanité, mais plutôt d’appauvrissement égalitariste, de tyrannie patentée et de massacres communistes. Le recyclage ravit les niais, les démagogues, et plus exactement tous ceux dont que posture apparemment généreuse de partage et de communauté fait rêver. Pourtant on se goberge des bénéfices raflés sur le dos tondu des capitalistes de diverses dimensions, jusqu’au plus humble entrepreneur, qui leurs permettent encore, avant qu’ils soient éradiqués, de vivre dans un confort que l’humanité n’a jamais connu au cours de son histoire. Posture qui est plus sûrement celle d’une oligarchie auto-constituée visant à s’approprier un pouvoir sans partage sur ses ouailles bêlantes de slogans, comme « penser le monde autrement », doux euphémisme pour tyranniser le monde joyeusement. On voit que l’utopie, qui pourrait ne paraître que gentillette, potache et bienheureuse, frise l’imbécillité, voire cercle les cages de fer citoyennes de la tyrannie[10]. Sans compter que parmi ces Nuit debout, circulent des mots d’ordre anticolonialistes éculés, anti-israéliens puant d’antisémitisme refoulé voire exhibé, et d’anti-occidentalisme suicidaire devant l’infiltration idéologique et démographique de l’Islam.

      Ce rassemblement apparemment citoyen, qui se targue d’accueillir toutes les  bonnes  volontés discoureuses, est caressé dans le sens du poil par la plupart des médias, en particulier pravdavistes et propagandistes, affligés par une débilitante démagogie jeuniste, qui par ailleurs ne se préoccupe guère des milliers de jeunes qui veulent travailler en paix et qui, faute de subir l’ostracisme des gauchistes et le despotisme du chômage, choisissent, s’ils le peuvent, d’émigrer pour aller travailler, voire faire fortune à l’étranger, toutes compétences et fortunes dont se prive malencontreusement la France, dont l’attractivité économique choit dangereusement. Nuit debout jette cependant bas le masque dès qu’une pensée réellement autre et contraire, et plus précisément libérale, aurait le front de s’y exprimer ; ce dont témoigne la visite du philosophe Alain Finkielkraut[11] rapidement soldée par des insultes, des bousculades et des crachats, ce dont il rend ainsi compte : « je souillais par ma seule présence la pureté idéologique de l’endroit. […] Sur cette prétendue agora, on célèbre l’Autre, mais on proscrit l’altérité. Ceux qui s’enorgueillissent de revitaliser la démocratie réinventent, dans l’innocence de l’oubli, le totalitarisme[12] ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le philosophe se vit insulter à l’occasion d’une sortie parmi des prétendus Gilets jaunes. Sait-on qu’il est permis de trouver ses analyses discutables, non de vomir à son encontre des diatribes antisémites et des professions de foi djihadistes ?

      Voici à cet égard le diktat d’un des porte-paroles de Nuit debout, Frederic Lordon : « Les médias nous demandent d’accueillir démocratiquement Finkielkraut, eh bien non ! Nous ne sommes pas ici pour faire de l’animation citoyenne all inclusive. Nous ne sommes pas amis de tout le monde, nous sommes ici pour faire de la politique, et nous n’apportons pas la paix. Nous n’avons pas de projet d’unanimité démocratique ». De plus, pour ce gentilhomme, il est de son éthique de dénoncer et excommunier « la violence du capital et la violence identitaire et raciste dont Alain Finkielkraut est un des premiers propagateurs[13]  ». Souvenons-nous qu’en 1965, lors d’une interview, Jean-Paul Sartre bramait : « Tout anticommuniste est un chien[14] ». Et contresignait : « Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent, et je ne vois pas d’autres moyens que la mort. On peut toujours sortir d’une prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué[15]  ».

      Même déni de la liberté d’expression, du dialogue démocratique et même condamnation morale, dont seule une fine membrane la sépare de la condamnation à mort, léniniste, guevariste, stalinienne, fasciste, islamiste, comme l’on préférera.

 

 

      En 1879, John Stuart Mill, dans son clairvoyant essai Sur le socialisme, écrivait déjà : « la principale motivation d’un trop grand nombre de socialistes révolutionnaires, c’est la haine ; une haine très pardonnable des maux existants, qui trouverait pour s’exprimer la destruction de la société actuelle à tous prix, fut-ce aux dépens de ceux qui en sont les victimes, dans l’espoir que du chaos émergerait un monde meilleur, et dans l’impatience et la désespérance de voir se dessiner un progrès graduel[16] ». Ce progrès graduel, surtout depuis un demi-siècle s’est considérablement augmenté, ce qui fait de leur combat une cause d’autant plus violente et indue qu’elle est démentie par les faits.

      En ce discours hallucinant, le pire est certainement la confusion entre la violence -plus exactement supposée telle - des discours philosophiques ostracisés et des soubresauts du capitalisme d’une part et la violence réelle et physique d’autre part qui permet en toute impunité morale, en toute sacralité jouissive, de briser des abribus, des vitrines, de blesser, parfois grièvement, de tuer des policiers, tout en paraissant s’en dédouaner et désolidariser si besoin est des « casseurs ».

Violences antipolicières

 

      Les marges des manifestations contre la loi Travail au printemps 2016 donnent lieu à des scènes délirantes : un individu, masqué, donne une claque à une journaliste russe, le plus gratuitement du monde, en passant à côté d’elle. Un autre, sans honte, déclare : « on vient pour casser du flic, pour casser les Vélib, les autolib, les vitrines, les abribus, la loi c’est nous et la loi El connerie on s’en fout, on bosse pas, on casse. » Mehdi, certainement un doux représentant de la diversité, avoue : « Je sais pas pourquoi je casse. Mais c’est cool de casser. Puis parfois quand tu peux choper des trucs, c’est utile quoi. Une fois je suis reparti avec deux-trois polos, c’est pratique. Pendant qu’il y a de la casse, tu sais que les vigiles sont débordés, tu peux repartir avec des fringues gratis, c’est bien quoi ».

      Voilà qui doit frapper par son immaturité politique, par sa puérilité de sauvageon, par l’insanité du langage et du raisonnement. Sans compter le grégarisme et la naïveté de la spontanéité, qui, comme chacun devrait le savoir, n’est en rien un gage de vérité. Pire, s’il en était besoin, l’aveu est parfaitement clair : le plaisir du coup de poing, de la guérilla, du pillage, est une motivation suffisante et première, grâce à laquelle le délicieux nerf de la guerre, humain trop humain, est bien frétillant.

      À Nantes, à Rennes, aux alentours du terrain d’actions des zadistes opposés au non-sens économique du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, mais aussi à Paris et ailleurs, de nouvelles journées de violences aboutissent au saccage de boutiques de sport (en une journée GO Sport subit 50 000 euros de dégâts et 25 000 euros de marchandises volées), d’une officine d’assurances (qui ne voudront bientôt plus assurer les établissements victimes), de vitrines diverses, de voitures éclatées ou incendiées, détruisant non seulement des biens mais handicapant lourdement des activités commerciales et de services, donc des emplois. Sans compter une intrusion hautement symbolique des vandales de gauche au Musée des Invalidse, heureusement interceptée par la soldatesque.

      Quant à ceux qui sont censés protéger populations et commerces de toutes ces déprédations ils sont autant attaqués. Lorsque trois camions de CRS sont bloqués dans la circulation, une centaine de manifestants en profite pour les abreuver de jets de pierre et autres objets non identifiés. Ce sont en effet des boulons, des billes de plomb, des harpons de pêche, des rasoirs soudés à des boules de pétanques, des pavés, des barres de fer, des cocktails Molotov qui sont jetés sur les policiers qui contrôlent les cortèges, sur leurs voitures enflammées. Ce sont des hordes de guérilléros qui harcèlent et frappent tour à tour un fonctionnaire isolé, dont l’attirail défensif ne le protège plus. Au point que démunis ils ne puissent user de la légitime défense sous peine d’être accusés de violences policières, craignant le syndrome Malik Oussekine (du nom de cet étudiant Franco-Algérien assassiné en 1986, dont la mort contraignit le ministre délégué à la Sécurité à la démission) ou le traumatisme de la mort par jet de grenade d’un jeune zadiste de Sivens, Rémi Fraisse, en 2014, ce pourquoi ils seraient immédiatement honnis et embastillés. Ainsi, en une choquante inversion des valeurs, le policier sera récompensé pour son sang-froid, pour ne pas user de la violence légale, quand le champ de la violence illégale est ouvert à qui veut en user contre les citoyens et les représentants de l’ordre légal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Et si environ 1300 vandales ont été interpellés en France ces derniers temps, dont 800 placés en garde à vue, une petite poignée étant convaincus de tentatives d’homicide sur des représentants de l’Etat, combien seront effectivement punis, faute de preuves, encagoulés qu’ils sont, effectivement incarcérés, alors que l’impéritie de nos gouvernement successifs a négligé de construire des prisons sûres et suffisantes, de former et nommer des personnels judiciaires et policiers en nombre suffisants ?

      Ce sont, au printemps 2016, environ 350 policiers qui ont été blessés, parfois grièvement, la plupart issus de classes sociales modestes ; 9000 au cours d’opération dans l’année 2015. Contre quelques milliers de manifestants issus des bourgeois-bohèmes et des banlieues judéophobes et christianophobes. Sans souhaiter instant qu’aucun soit blessé, il faut se souvenir que si la liberté de manifester n’est pas à remettre en cause, tout citoyen qui manifeste le fait en conscience des risques, eût égard aux mouvements de foules et aux casseurs environnants, et a fortiori de ceux encourus par qui fait opposition aux forces de l’ordre.

      Le monopole de la violence légale, encadré et proportionné à la violence qu’il est nécessaire de réprimer et de pacifier, sans vouloir un instant cautionner une violence policière abusive, a désormais changé de camp. Il appartient désormais à ceux que la loi ne contrôle plus : zadistes, ultragauchistes, anarcho-libertaires, islamistes… Mais aussi cégétistes, affichant un scandaleux « Stop à la violence » sur lequel l’écusson des CRS ne dissimule pas une flaque de sang, polluant les airs de leurs feux de pneus, bloquant les entreprises, les transports, les raffineries de pétroles, les dépôts de carburant, au mépris de la liberté d’entreprendre et de se déplacer, alors qu’ils sont outrageusement subventionnés par l’Etat et les collectivités locales, que leurs comptes ne sont soumis à aucune vérification, que le rapport Perruchot[17]  a montré leurs corruptions, malversations, détournements et richesses paradoxales.

      L’Etat impuissant n’a plus de force, quand la délinquance et le crime gagnent des forces, en une sinistre inversion des valeurs. Est-ce seulement mollesse, récurrente pleutrerie devant le chantage gaucho-cégétiste ? Ou stratégie méditée de façon à discréditer les opposants à la Loi travail ? Alors que cette dernière, bien trop timide, de surcroît aussi maladroite que trop complexe, prétendument écrite de façon à desserrer l’étau du Code du travail, s’est vidée de sa substance, s’est hérissée d’arguties suradministratives. On sait qu’il aurait fallu commencer par radicalement et uniment simplifier et diminuer la fiscalité sur les entreprises jusqu’à une flat tax. Mais à quel affreux « néolibéralisme » n’aurions-nous pas fait allégeance !

      Qui vit réellement et par devoir des « Nuits debout » ? Sans aucun doute les balayeurs qui ramassent les débris des rassemblements, qu’ils s’agissent des déchets venus de ces agapes, ou de ceux du vandalisme. Sans aucun doute les médecins, chirurgiens et infirmiers qui soignent les policiers (sans compter à Paris une proviseure agressée par un lycéen bloqueur). Et tandis que lorsque les jeunes et moins jeunes bobos désœuvrés vont se coucher au matin, ce sont tous ceux dont le travail et le capital nourrissent les prolifiques et confiscatoires impôts, de façon à payer les dégâts (500 000 euros de réfection des lycées d’Ile de France), rétablir la salubrité, l’esthétique et l’état de marche de nos villes, opérer et panser les blessés. Voilà bien une scandaleuse inversion des valeurs entre les nuits couchées et les jours debout !

 

 

La nietzschéenne inversion des valeurs appliquée à notre Etat

 

      Selon Friedrich Nietzsche, dans Par-delà le bien et le mal, le Christianisme a su mettre en œuvre un renversement des valeurs en valorisant et sanctifiant tout ce qui va à l’encontre des forces de vie. Pour ce faire, cette religion postule une vérité qui est celle d’un arrière monde céleste, au mépris du réel le plus terrestre et le plus corporel, suivant en cela conception platonicienne qui préfère l’essence à l’existence, préférant donc l’idéal au dépens du sensible. Les valeurs mortifères de culpabilité, de honte, condamnant la sexualité, l’obéissance veule, la pitié, la faiblesse, l'égalité, sont des morales du renoncement devant la vie, contraignant la volonté de puissance humaine à sa propre castration. Ainsi la morale des faibles, esclaves et chrétiens, par le levier du ressentiment, s’insurge et vainc les valeurs des forts, des vivants, des créateurs, des maîtres et de toute velléité aristocratique : « Mettre sens dessus dessous toutes les valeurs, voilà ce qu’ils durent faire ! Et brider les forts, débiliter les grandes espérances, calomnier le bonheur qui vient de la beauté, pervertir tout ce qui est orgueilleux, viril conquérant, dominateur, tous les instincts qui appartiennent au type humain le plus élevé et le plus accompli en y introduisant l’incertitude, les tourments de la conscience, le goût de se détruire, muer même tout attachement à la terre et à la domination de la terre en haine de la terre et des choses terrestres. Voilà la tâche que l’Eglise s’est prescrite et qu’elle devait se prescrire, jusqu’à ce que s’imposât enfin son ordre des valeurs[18]  ».

      En une semblable inversion des valeurs, le faible - ou du moins prétendu tel - musèle le fort, le salarié met à genou le patron, les organisations syndicales défient et tyrannisent le patronat et tous les citoyens. Ainsi le manifestant déborde les forces de l’ordre, le casseur lynche la police. La violence policière, certes toujours possible et parfois avérée, devient une violence antipolicière, une déferlante de haine orchestrée comme une corrida où le matador ne laisse guère de chance au taureau, où le policier, au lieu de déployer sa force au service du bien public, doit faire montre de sang-froid, d’empathie devant le mal des collectifs autoproclamés antifascistes, alors qu’ils sont de fait les fascistes révolutionnaires résolus à faire de la chair à pâté des gardiens de la paix. Nourris de contradictions, de fanatisme antiflic, tendus vers leur despotisme haineux, les casseurs et combattants révolutionnaires oublient pourtant combien ils appelaient le « CRS SS » à leur secours, lorsqu’au concert du Bataclan, les islamistes les dézinguaient !

      Dira-t-on que l’Etat et son gouvernement sont aux ordres des manifestants, casseurs et bloqueurs, qui ne représentent qu’une très faible minorité aux dépends d’une société toute entière ? Quand l’Etat aura-t-il le courage nécessaire et attendu de faire prévaloir la loi juste, la liberté et la sécurité, en débloquant les barrages, en arrêtant et incarcérant les casseurs et les harceleurs tueurs de flics ? Comme si nous n’avions pas déjà assez du terrorisme islamique, pour lequel le moins que l’on puisse dire est que la réponse de l’Etat n’est guère à la hauteur des enjeux.

      Autre inversion des valeurs, non moins inquiétante, la violence symbolique et sociale, effectivement ou prétendument subie, est prétendue moralement pire que les violences physiques et guerrières commises contre des patrons séquestrés aux chemises arrachées, contre des représentants des forces de l’ordre, blessés grièvement, incendiés, ces dernières violences étant excusées, légitimées par une rhétorique postmarxiste, anarcho-libertaire. On se souvient que la « violence symbolique » d’une Porsche fut incendiée. Vandalisme scandaleux en soi, ne serait-ce que contre les créateurs et ouvriers qui l’ont conçue et construite, contre son propriétaire, d’autant plus grotesque que, par une triste ironie, cette voiture de luxe appartenait à un homme des plus modestes et passionné qui consacrait toutes ses économies à la dite « violence symbolique » du luxe !

      Patente au cœur des mouvements des Gilets jaunes et de Nuit debout, cette inversion des valeurs (aux résultats bien moins moraux que celle exécutée avec brio par le christianisme à l’occasion de l’analyse nietzschéenne) est bien la tâche que la fort minoritaire chienlit poisseuse de romantisme révolutionnaire et de haine des entrepreneurs et des policiers, qui assurent la richesse de leur niveau de vie de bourgeois, s’est prescrite pour assurer sa tyrannie anarchisto-fasciste. Qu’ils soient cégétistes ou zadistes, anarchistes ou ultragauchistes, démocrates révolutionnaires ou antifascistes, ce sont les fascistes réels de notre temps. Ils inversent les valeurs au profit de leur intolérance, de leur libido guerrière, de leur libido dominandi. Aussi à leur égard, il faut savoir, avec Marcel Proust, que « le pacifisme multiplie quelquefois les guerres et l’indulgence, la criminalité[19] ». Jusqu’à quel retour à la raison, quelle implosion ? Autre inversion des valeurs, celle d’une police qui réprime la liberté sans pouvoir réprimer la tyrannie. Mais aussi celle de ceux qui préfèrent la guerre contre l’Occident et ses valeurs, à la paix et à cette liberté qui est un droit naturel. Et parce que, sans oser le dire, l’on a peur de l’hydre islamique, l’on préfère se livrer à des compromissions dommageables. « En politique, ce qui commence dans la peur, s’achève souvent dans la folie[20] », disait en 1830 le poète Coleridge.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] William Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien, traduit par Louis Legendre, Alphonse Lemerre, 1888, p 113.

[2] Voir : Patrick Farbiaz : Gilets jaunes. Documents et textes, Editions du Croquant, 2019.

[3] Voir : Francis Dupuis-Déri : Black blocs,  Lux, 2009.

[4] Voir : Elsa Marpeau : Blacks blocs, Folio policier, 2018.

[6] Voir : Gaël Brustier : Nuit debout. Que penser ? Cerf, 2016.

[7] Voir : Nuitdebout.fr

[8]  Gouvernement par la populace.

[12]  Le Figaro, 19 avril 2016.

[13] http://www.fakirpresse.info/frederic-lordon-nous-n-apportons-pas-la-paix

[14] Jean-Paul Sartre : Les Temps modernes, juillet 1952.

[15] Jean-Paul Sartre : Actuel, 28 février 1973.

[16] John Stuart Mill : Sur le socialisme, Les Belles Lettres, 2016, p 136.

[17] Lisible sur : Le Point.fr

[18] Friedrich Nietzsche : Par-delà le bien et le mal, 62, Œuvres philosophiques complètes VII, Gallimard, 1992, p 77-78.    

[19] Marcel Proust : À l’ombre des jeunes filles en fleurs, À la recherche du temps perdu II, Gallimard Pléiade, 1988, p 116.

[20] Samuel Taylor Coleridge : Propos de table, Allia, 2018, p 37.

 

Photo : T. Guinhut.

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 09:56

 

Rifugio Zallinger, Castelrotto, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

L’épopée malheureuse de l’histoire amérindienne :
Carys Davies, Black Hawk, Jack D. Forbes.

 

 

Carys Davies : West, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne)

par David Faukenberg, Seuil, 192 p, 19 €.

 

Black Hawk : Chef de guerre, traduit de l’anglais (Etats-Unis)

par Paulin Dardel, Anacharsis, 192 p, 18 €.

 

Jack D. Forbes : Christophe Colomb et autres cannibales,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Frédéric Moreau,

Le Passager clandestin, 344 p, 16 €.

 

 

 

      L’épopée des colons américains au travers des prairies et des montagnes de leur continent a ses découvreurs héroïques, ses civilisateurs, mais aussi ses bourreaux et ses victimes, parfois dénoncés par des plumes amérindiennes. Si l’on ne peut guère mettre en doute les mille progrès scientifiques et civilisateurs des Etats-Unis, malgré une propension parfois louable et parfois fort discutable à guerroyer dans le monde entier, il n’est pas interdit d’interroger le socle sur lequel repose cette réussite : l’éradication, sinon totale mais terrifiante, des populations amérindiennes. C’est avec le concours du roman, de l’autobiographie et de l’essai que l’on peut sonder cet héritage historique. Ainsi la romancière Carys Davies emmène ses personnages à la recherche d’un Ouest paléontologique et mémoriel ; le chef amérindien Black Hawk dresse une plaidoirie en faveur de son peuple ; alors que l’essayiste Jack D. Forbes préfère ériger avec Christophe Colomb et autres cannibales un réquisitoire vigoureux, quoique excessif…

      La découverte du continent américain ne se limite pas à une histoire de cow-boys et d’Indiens, où le Far-West voit s’affronter le mal sauvage et le bien colonisateur, en un manichéisme un brin suranné. Carys Davies renouvelle largement le genre avec un modeste roman sobrement intitulé West, qui cependant a le mérite d’ouvrir plusieurs pistes de lecture. Entre quête paléontologique, aventure intérieure d’une enfant et mémoire d’un Amérindien, Carys Davies signe un roman historique attachant.

      Plutôt qu’une conquête, guerrière et territoriale au cours du XIX° siècle, le héros de West, John Cyrus Bellman, « à la chevelure d’un roux éclatant », préfère mener une « quête exubérante ». Elle n’a de sens que pour lui, au point que le veuf laisse sa fille aux mains de sa sœur Julie, totalement dépourvue d’imagination. Une coupure de journal rendant compte de la découverte d’ossements géants l’a électrisé. Il entreprend alors d’aller à la recherche de cet « animal incognitum », qu’il imagine peuplant encore l’Ouest lointain et sauvage. S’il part seul, il y a quelque chose d’épique dans cette patiente chevauchée, dans les grands espaces des plaines, dans les forêts et long de la vallée du Missouri, à la lisière des Montagnes rocheuses, parmi des saisons généreuses, des hivers implacables. On devine là l’écho des écrivains du wilderness, par exemple John Muir, dont les Célébrations de la nature[1] déroulent un éloge attentif des paysages grandioses des Etats-Unis.

      Bientôt, l’explorateur s’adjoint un éclaireur, un jeune Indien nommé « Vieille Femme de Loin », qui convoite ses colifichets, ses armes. Ce dernier garde le souvenir traumatisant du voyage de sa tribu, spoliée de ses terres fertiles par les colons blancs, par le gouvernement, vers un Ouest moins généreux. Si Bellman n’atteint jamais son but, il est tout de même un pionner symbolique de la paléontologie, alors que son guide a « toujours entendu des histoires de gigantesques créatures mangeuses d’hommes » qui font partie de la mythologie amérindienne. D’autres découvriront les gigantesques fossiles fantasmés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Au voyage réel du paternel, s’adjoint le voyage mental de sa fille : du haut de ses dix ans, Bess parvient non sans risque à entrer dans la bibliothèque locale pour imaginer sur les atlas le tracé parcouru. Pendant ces quelques années, elle découvre le monde des adultes, parfois bien plus monstrueux que les fossiles. De plus, l’Indien fait un voyage en miroir pour emporter en Pennsylvanie le legs dévolu à Bess. La disparition tragique du héros entraîne une transmission : recevant ses liasses de lettres et ses notes de voyage, elle devient la nouvelle héroïne, sauvée à l’occasion d’un dénouement surprenant, providentiel, gardant en son for intérieur l’image paternelle, celle d’un héros magique et protecteur, d’un aventurier « romantique ».

      Construit tout en antithèses et en reflets, écrit avec une séduisante simplicité, ce roman aux personnages attachants se propose d’associer exploration géographique et maturation intérieure. Le narrateur omniscient nous permet d’entrer parmi la conscience de chaque personnage, jusqu’à connaître le sort réservé à un paquet de lettres noyées…

Au-delà de l’aventure, deux plaidoyers se répondent : celui des Amérindiens natifs, chassés et décimés par les nouveaux Américains et celui de la condition féminine, vulnérable devant les viols éhontés de ces Messieurs. Il y a quelque chose de l’apologue en ce récit plus complexe et riche qu’il n’y parait de prime abord.

      Pourquoi cette propension, qui devient une manie ridicule, à ne pas traduire les titres anglais ? Vers l’Ouest n’eut il pas été parlant ? L’on traduira peut-être les nouvelles de la romancière, The Redemption of Galen Pike, qui furent couvertes de prix. En ce roman historique, situé lors des années 1815, Carys Davies emprunte une voie qui n’est pas loin de celle de sa compatriote Tracy Chevalier, dont La dernière fugitive[2] nous transporte parmi les temps de l’esclavage américain.

      Cependant, et sans la moindre caricature, le personnage de l’Amérindien est loin de n’être qu’un comparse dans le roman de Carys Davies. Symbole d’une terre bafouée et d’une mémoire historique à respecter, il répond à l’explorateur de l’Ouest, pourtant pacifique celui-là, pour nous rappeler combien son peuple a été décimé, volé de ses terres ancestrales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Or n’est-il pas un écho de voix puissantes, et pourtant occultées ? Comme celle de Black Hawk, chef de tribu amérindienne, dont Patterson, un Virginien, recueillit la voix pour publier en 1833 cette autobiographie : Chef de guerre. L’« Epervier noir » s’appelait en fait Makataimeshekiakiak. Aussi l’on pardonne l’éditeur d’avoir reculé devant le patronyme difficilement prononçable en notre langue. Ne soyons pas dupes cependant devant la stratégie des deux compères : autopromotion, autojustification et stratégie commerciale. Il n’en reste pas moins que le témoignage est précieux.

      À la fin du XVIII° siècle la confédération iroquoise cède peu à peu devant l’arrivée des Européens. Les territoires qui vont de l’Atlantiques aux Grands lacs sont soumis à l’expansion des blancs alors que les Amérindiens sont relégués dans des réserves ou contraints de se diriger vers l’ouest à l’occasion du traité de 1804. En 1832, Black Hawk se rebelle avec quelques centaines d’hommes, avant d’être vaincu. Captif, on l’emmène jusqu’à Washington et New York, avant d’être rendu aux siens en 1833, dans l’Iowa. Alors que son peuple doit encore migrer de plus en plus vers l’ouest, il préfère confier son autobiographie à un Français polyglotte, Antoine LeClair.

      Pensée magique autour du « Grand esprit », exploits des braves ramenant les scalps des ennemis, Osages et Cherokees, voilà quelques ingrédients de l’univers de Black Hawk, très fier de ses carnages parmi les tribus voisines hostiles et les soldats envahisseurs. Car le traité de 1804 est une escroquerie qui permet aux Américains de s’approprier de nombreuses terres. Ainsi « les Blancs nous ont éloignés de nos foyers et introduit parmi nous les liqueurs toxiques, la maladie et la mort ». Le chef indien mieux accueilli par les Anglais se jette dans une guerre à tous crins contre les Américains. La mort de son fils adoptif le poussant à la vengeance, les escarmouches se succèdent, les morts s’accumulent, les répits ne préparent que de nouvelles batailles, car les Américains lui fait signer un traité de paix, par lequel il doit consentir à renoncer à son village : « Que savons-nous des manières, des lois et des coutumes des Blancs ? Ils pourraient acheter nos corps pour des dissections, et nous utiliserions la plume d’oie pour le confirmer sans même savoir ce que nous faisons ». La spoliation entraîne une guérilla désespérée, jusqu’au massacre, en 1832. Ainsi s’achève la malheureuse épopée…

      Le récit en profite également pour offrir un tableau bienvenu des mœurs amérindiennes : agriculture, danses, festins, chasse, coutumes conjugales fort libres, mythes et « jeu de balle » ; mais le whisky fait des ravages. Ce qui s’oppose aux villes de l’est, au chemin de fer et à « l’industrie » des Blancs qui impressionnent grandement Black Hawk reçu par « notre Grand Père, le président » à Washington, lors d’une sorte de voyage triomphal, voyage étonnant dans la mesure où la curiosité ethnographique s’associe à la volonté affichée de clémence.

      Plaidant en faveur de la coexistence des Amérindiens et des Européens, Black Hawk (1767-1838) n’en dénonce pas moins l’incohérence de ces derniers, entre proclamation d’une hypocrite démocratie et irrespect de la doctrine chrétienne. Avec un brin de vanité, il proclame sa droiture, sa dignité de guerrier, son humanité universelle, quoiqu’il ne se gênât pas de proposer de régler la « question noire » en séparant les hommes et les femmes et empêchant cette population de se reproduire !

      Pour ce texte indispensable à la compréhension des Amérindiens, remercions les éditions Anarchasis, dont le nom fut celui d’un barbare de l’Antiquité passablement philosophe, mis à mort par les siens pour avoir selon eux voulu pervertir leurs mœurs et dont l’Abbé Barthélémy fit en 1788 le héros d’un voyage érudit en Grèce[3]. Ainsi l’on compte parmi leur catalogue une poignée de barbares de l’ouest américain, parmi lesquels Geronimo, Billy the Kid…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Près d’un siècle et demi plus tard, le mythe de l’héroïsme colonial se voit plus encore et radicalement remis en question. Lui-même d’origine amérindienne, Jack D. Forbes prend la défense de tous les Black Hawks d’Amérique en dressant en 1979 un réquisitoire implacable à l’encontre de Christophe Colomb et autres cannibales. Ce dernier mot étant une hyperbole, mais l’on sait que son étymologie vient du mot « Caraïbes », il est là pour frapper les esprits et renverser une accusation. Ce fondateur des Native American Studies a le mérite de brosser un tableau cruel des violences perpétrées pendant des siècles par le colonialisme européen. Aussi l’essayiste use d’un mot amérindien, « wétiko », pour qualifier « la psychose cannibale », en d’autres termes la spoliation, la cupidité, la domination violente dont se sont rendus coupables les Blancs européens dans leur marche inexorable d’est en ouest. Ce que confirme le sous-titre de l’essai en langue anglaise, qu’il aurait peut-être fallu ici retenir : « La wétiko maladie de l’exploitation, de l’impérialisme et du terrorisme ».

      Il faut convenir que l’envahissement des Amériques par les Européens fut semé de massacres, de vols territoriaux et d’esclavagisme, tels que le dénonça dès 1552 Las Casas[4]. Les guerres récurrentes, même si la cruauté n’est pas d’un seul camp, la distribution préméditée en 1760 de couvertures infestées par la variole (quoique cette question se discute puisque le virus ne fut connu que bien plus tard), la relégation dans des réserves aux maigres possibilités agricoles, la vente de l’alcool ravageur, tout ceci participe de ce qu’il faut bien appeler un génocide.

      Hélas, ce qui de la part de Jack D. Forbes pourrait être une réflexion morale judicieuse sur la quasi-destruction des cultures indigènes est gâté par un anticapitalisme primaire et un écologisme fondamentaliste obsessionnel, au travers de l’exaltation des sociétés agraires et de chasseur-cueilleurs, plus exactement par un « anarcho-primitivisme » postulant l’ « anticivilisation ». La prédation, le meurtre et la tyrannie ne datent pas de l’aube du capitalisme, alors que ce dernier, plus exactement s’il est libéral, a permis à la plupart de la population mondiale de sortir de la pauvreté et de l’oppression politique[5]. Un rousseauisme régressif innerve la pensée de Jack D. Forbes, fantasmant sur une communauté humaine et naturelle originelle, idéale, à laquelle il faudrait revenir. C’est ainsi que l’essayiste, dont l’argumentation est loin d’être rigoureuse (y compris de l’aveu du préfacier) dessert sa juste cause, celle de la réhabilitation des cultures indigènes, respectables en leurs libertés. Mais aussi celle de la dénonciation de la passion destructrice, génocidaire, voire écocidaire, qui habite le genre humain.

      Même si l’essai outrancier de Jack D. Forbes est à lire avec prudence, il faut rendre grâce aux éditions Le Passager clandestin de nous tenir informés d’un courant de pensée non négligeable outre-Atlantique, d’une évolution des mentalités et des nouveaux angles de lecture de l’Histoire des Etats-Unis, même s’ils peuvent paraître parfois aberrants : cet essai est en effet l’une des sources de l’écologie radicale. Mieux connaître, pour adhérer ou pour se prémunir, telle reste la problématique du lecteur intègre.

      Ne tombons pas dans l’angélisme qui fait le fonds de commerce du mythe du bon sauvage. Les Amérindiens, composés de dizaines de tribus, ne cessent guère de se faire la guerre, les Sioux affrontent les Sauks, les Dakotas s’opposent aux Ojibwas, les Séminoles de Floride, durement réprimés par celui qui deviendra le Président Jackson ne sont pas des anges, les scalps s’envolent à foison. Ce que confirme la lecture de l’autobiographie de Black Hawk. Lui aussi aime la guerre et professe, quoique dans le cadre d’une éthique guerrière, « le culte de l’agression et de la violence », pour citer le réquisitoire de Jack D. Forbes. Leur pureté écologique reste également de l’ordre du mythe. Accorder aux Native Americans une juste reconnaissance et rétribution morale, sans les diaboliser, ce dans une démarche historique, ne mérite pas qu’une escroquerie idéologique les embarque dans un anticapitalisme délétère, d’autant que nombre de leurs descendants savent aujourd’hui profiter des bienfaits de la civilisation industrielle et technologique. Civilisation qui n’a pas dit son dernier mot, ne serait-ce que parce qu’elle est la seule à savoir user de l’ethnologie pour réhabiliter autrui, comme en témoignent nombre d’études sur ces Amérindiens[6], et aussi parce qu’il faut parier qu’elle est déjà en train de voler au secours d’une nature à préserver, mais pas au dépens de l’humanité, ce qui n’est en rien contradictoire.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Carys Davies a été publiée dans Le Matricule des anges, janvier 2019

 

[1] John Muir : Célébrations de la nature, José Corti, 2011.

[3] Barthélémy : Voyage d’Anacharsis en Grèce, Ledoux, 1825.

[6] Par exemple Paul Radin : Histoire de la civilisation indienne, Payot, 1935.

 

Kaserbach, St Pancraz / San Pancrazio,Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 14:51

Saint-Michel terrassant le Démon. Abbatiale de Saint-Maixent, Deux Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Révolution anthropologique, féministe
et politique du Pouvoir par Naomi Alderman.

 

 

Naomi Alderman : Le Pouvoir,

traduit de l’anglais (Grande Bretagne) par Christine Barbastre,

Calmann Lévy, 396 p, 21,50 €.

 

 

 

 

      Une femme meurt en France tous les trois ou quatre jours sous les coups de son partenaire masculin, quand la réciproque n’est que d’un tous les quinze jours, sous les coups le plus souvent de femmes battues. La force virile et la condition gestante de la femme ont longtemps permis d’assurer à l’homme un pouvoir presque universel. Nul doute qu’il ait fallu corriger l’injustice grâce aux efforts conjugués de la médecine, de la technologie, des mœurs et du droit. À moins de renverser des millénaires d’Histoire et pratiquer une interversion aux violentes et radicales conséquences, comme le conte la romancière anglaise Naomi Alderman dans Le Pouvoir. Mais à vouloir renverser les abus d’un pouvoir, risque-t-on de tomber de Charybde en Scylla, donc d’en établir de bien pires ? Et faut-il, aux prises avec une lecture rapide et superficielle (la critique ne lisant trop souvent que le début d’un livre), ne déduire qu’il s’agit d’un roman féministe ?

      Comme Will Self intervertissant Les grands singes[1] et les hommes, sa compatriote Naomi Alderman (née 1974 en Angleterre) pratique en son roman l’inversion des rôles. Soudain, les filles, les femmes ont « Le Pouvoir » sur les hommes, qu’elles changent en sexe faible, se vengeant avec délectation d’une atavique domination. Il leur suffit de puiser une inédite énergie dans le « fuseau » musculaire sous leur clavicule, une « pelote de lumière », d’être ainsi des « filles électriques », de provoquer des « convulsions et suffocation, occasionnant des cicatrices qui se déploient comme des feuillages le long des bras » et du corps de ces Messieurs qui les agressent. C’est la rançon du harcèlement sexuel et des viols, qui ainsi ne sont plus que des tentatives avortées, châtiées, dissuadées. L’on apprend par la suite que ce « pouvoir » viendrait de la diffusion dans l’organisme d’une substance destinée à lutter contre les « gaz neurotoxiques » lors de la Seconde Guerre mondiale : « l’Ange Gardien », première occurrence d’une pulsion religieuse en cet univers.

      Il faut des personnages pour animer cette révolution planétairee qui fait tomber les gouvernements : c’est un trio féminin. Roxy, fille d’un mafieux et qui assista au meurtre de sa mère, devient une femme d’affaire terrifiante ; Allie, qui fut une enfant abusée, puis une paumée, acquiert soudain le pouvoir de guérison miraculeuse et devient sous le nom emblématique de « Mère Eve » une gourou dont l’influence est bientôt mondiale ; Margot, maire d’une ville américaine, accède à l’influence politique qui lui permet de séparer filles et de garçons dans des camps où les premières s’entrainent spécialement au contrôle de l’énergie salvatrice. C’est au moyen de la force du « fuseau électrique » que ces dames sont capables d’annihiler toute résistance. Ainsi Allie exécute son père adoptif, violeur de surcroit, avant de trouver refuge dans une communauté religieuse. Là, « Mère Eve » use et abuse de paroles christiques : « Je vous dis, moi, que la femme règne sur l’homme comme Marie a guidé les pas de son enfant, avec bonté et amour ». Les succursales du couvent originel couvrent bientôt tous les pays, la révolte devenant planétaire. Les « chiffres des violences domestiques faites aux hommes, des hommes morts sous les coups de leurs compagnes » explosent. En Moldavie, celles qui étaient des esclaves sexuelles usent de ce fameux pouvoir au point de régenter toute une province : « la république des femmes » ; ce qui conduit à une inévitable « guerre des sexes ». La suite est désastreuse : les hommes, outre leur sujétion dans des » camps de travail » et leur relégation au rôle de reproducteurs, deviennent de véritables objets et esclaves, y compris sexuels, au cours de rituels religieux, mais aussi lorsque les femmes les obligent « à se battre pour leur divertissement ».

 

      Parmi les récits alternés, on n’oubliera pas Tunde, un journaliste nigérian, chroniqueur enthousiaste de ce nouveau monde en gestation, cependant dangereusement exposé. Tout en filmant nombre d’événement périlleux, il prétend écrire « un pendant à De la démocratie en Amérique de Tocqueville. À l’Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain de Gibbon. Ou encore de Shoah de Lanzmann » ! Son grand-œuvre brossant le tableau du « Grand Changement » s’achèvera-t-il sous la signature usurpée d’une femme ?

      À ce dédale narratif s’ajoutent divers documents, dont des dessins rendant compte de fouilles archéologiques attestant de « Reines prêtresses » et de « travailleurs sexuels », comme autant de récupération, instrumentalisation de l’Histoire, exhibition de la  mauvaise foi idéologique, ce qui n’est pas sans intelligence de la part de notre auteure. Mais aussi une correspondance d’une certaine Naomi avec Neil qui fait partie d’une « Association des hommes écrivains », ce après des millénaires de nonnes copistes, et finit par lui soumettre son manuscrit avec un succès mitigé…

      Car Le Pouvoir est un livre dans un livre, « une novélisation de ce que les archéologues s’accordent à reconnaître comme étant l’hypothèse la plus plausible », proposé cinq mille ans plus tard par Neil Adam Armon à un avatar de son auteur du XXI° siècle : une nouvelle Naomi. Non sans ironie de la part de celle de notre temps qui maitrise en cette occurrence un fin clavier, elle demande à Neil si ses « hommes soldats » sont crédibles au regard des  guerriers masculins excavés qui, pense-t-elle, ne sont que de rares exceptions. Voici un facétieux renversement des interrogations qui remuent la question de l’existence des Amazones[2]. En outre l’on apprend que l’on procédait « à la naissance, à l’extermination sélective de neuf garçons sur dix ». Et qu’en certains endroits du monde l’on « bride les pénis des enfants de sexe masculin ». Le diptyque épistolaire qui encadre le roman est probablement la partie la plus efficace, la plus intelligente, y compris lorsque l’on a remarqué que le nom de Neil Adam Armon est un anagramme de celui de notre romancière.

      Si cet apologue science-fictionnel plein d’allant, de suspense et d’action, non dépourvu de psychologie, peut paraître d’abord alourdi par la thèse féministe, il opère cependant un renversement plein d’ironie envers une idéologie matriarcale. Il s’agit d’une anti-utopie, à poser aux côtés de La Servante écarlate de Margaret Atwood[3], qui l’a d’ailleurs grandement influencée, et dont elle publie ici l’antidote empoisonné. L’on devine d’ailleurs que Margaret Atwood a été fort impressionnée par ce roman. Car Naomi Alderman ne joue pas dans la cour des naïves prophétesses : son roman se change en une vigoureuse satire de la religiosité féministe, en particulier lorsque « notre Saint Mère Eve » réalise le miracle de faire marcher les paralytiques. Au point que le « Livre d’Eve » devienne une nouvelle Bible matriarcale, de laquelle on exclut au moins un « texte apocryphe » !

      De toute évidence il n’est pas sûr que le pouvoir des femmes soit un gage de paix. En cette révolution anthropologique, le matriarcat devient, selon les mots de « Mère Eve », le moteur de la « guerre de tous contre tous[4] », à la façon décrite par le philosophe Thomas Hobbes en 1642, entraînant non seulement la désillusion des naïfs et autres naïves, mais la débandade de la civilisation.

      Plein de bruit et de fureur, prolixe en péripéties, dramatique et volontiers tragique, voire apocalyptique, le récit est d’abord entraînant. Mais à la lisière du manga d’action, parfois écrit à la truelle, il peut fatiguer à sa façon de jouer avec les ressorts vulgaires des combats, de la catastrophe, des atrocités les plus gores. La scène du viol meurtrier d’un jeune homme pâle et blond par une femme électrique est évidemment marquante autant que symbolique. De plus les arcanes du pouvoir politique qui se construit sans reculer devant la reproduction du schéma masculin alourdissent des pages parfois laborieuses. L’on prendra ce roman comme une sorte d’apologue un peu caricatural, sinon grandguignolesque, qui a le mérite de déjouer les tyrannies machistes subies par la condition féminine tout en dénonçant les dérives d’un féminisme politique que n’épargnerait pas la tentation de la religiosité et du totalitarisme.

      Il à craindre en effet que ces Messieurs, même si jusque-là leurs bataillons remplissent les prisons à hauteur de 96%, n’aient pas le monopole des coups et de la tuerie, et que leurs consœurs puissent les égaler en termes de violence, qu’elle soit psychologique, physique ou guerrière. Est-ce là une thèse un brin tirée par les cheveux ? Un concours de circonstances offrant le pouvoir aux filles d’Eve, qui sait si Naomi Alderman verrait son hypothèse de travail validée, ou invalidée, de par son goût de l’hyperbole. Auquel cas elle aurait singé peu honorablement les pires pulsions romanesques masculines. Gageons cependant que notre auteur, déjà connue pour La Désobéissance[5] et Mauvais genre[6], qui sont plutôt des romans d’éducation et de mœurs, ait mené une entreprise moins militante que ludique. D’ailleurs sa Naomi du futur n’émet-elle pas une hypothèse saugrenue : « Je sens instinctivement qu’un monde gouverné par les hommes serait plus agréable, plus doux, plus aimant et plus propice à l’épanouissement ». En d’autres termes, la violence du pouvoir est-elle sexué par nature ou par culture ? Naomi Alderman est bien une ironiste de talent, qui fait prétendre à son alter ego du futur que le livre de Neil relève de la « littérature masculine ». Ô ironie bienvenue : notre Naomi Alderman est plus matoise qu’il n’y parait, balayant d’un revers ceux - et surtout celles - qui se focaliseraient sur l’argument premier du roman.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il n’en reste pas moins qu’à l’heure de l’affaire Weinstein, qui vit éclater fin 2017 les révélations d’abus sexuels perpétrés sur des actrices postulantes aux Etats-Unis, l’ouvrage engagé de Naomi Alderman prend non seulement un relief accusatoire, mais un parfum de revanche à la fois bienvenu et résolument inquiétant. Que la peur change de camp, soit, s’il ne s’agit que de réprimer la violence masculine, mais qu’elle devienne une férule nouvelle aux mains d’une infernale moitié de l’humanité, n’en fait pas un juste retour des choses. Pensons à cet égard au pamphlet Scum manifesto ou Manifeste pour la castration des mâles publié en 1967 par la virago fanatique Valérie Solanas[7]. La morale de l’affaire réside dans un paradoxe que les utopies politiques connaissent trop bien : une vertueuse révolte contre un pouvoir abject n’assure pas le moins du monde l’assomption d’un pouvoir enfin vertueux, mais peut ouvrir la porte au pire.

      Récompensé par le Bailey’s Women’s Prize en 2017, Le Pouvoir, qui est certainement l’ouvrage le plus marquant de Naomi Alderman, amuse, fait grincer des dents, agace et ennuie parfois. Qu’importe son talent, son bric-à-brac et ses lourdeurs, songeons à sa finesse argumentative, puisqu’elle est le moteur d’une réflexion anthropologique et civilisationnelle. Ce n’est là qu’un roman, tout ce qu’il y a de plus fictionnel, pas un constat sociétal d’actualité, du moins pas encore. Il n’a pas pour vocation d’être brutalement à thèse : « l’objet d’un ouvrage d’histoire ou de fiction n’est pas de faire progresser une cause », théorise sous forme d’hypothèse la Naomi du futur. L’imaginaire et l’anticipation n’ont-elles pas pour mission de siéger en tant qu’avertisseurs ? Ainsi nous le savons : venger l’injustice séculaire de la domination masculine ne suffirait hélas pas à assurer le règne d’une paisible justice. La Vengeance en effet n’est rien moins que la terrible Némésis de la mythologie grecque, assistée des Furies, allégories d’ailleurs féminines. Si ces dernières deviennent les Bienveillantes, c’est pour signifier qu’elles doivent veiller à l’apaisement d’une guerre des sexes. Sinon l’on déboucherait sur une terrible anti-utopie, faisant fi de tout libéralisme politique. Le pouvoir moral, si moral soit-il, risque bien d’aboutir à un règne despotique et totalitaire, y compris féminin. Ainsi va, bien plus que les catégories sexuées, et au-delà d’une politique genrée, la nature humaine. Pourtant, au-delà de la vision trop noire de Naomi Alderman, n’en doutons pas, d’autres pouvoirs que guerriers et violemment politiques, peuvent être investis par le féminin pour les meilleures causes, culturelles et scientifiques.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[4] Thomas Hobbes : Du Citoyen, I, 13, Société typographique, Neufchatel, 1797, p 18.

[5] Naomi Alderman : La Désobéissance, L’Olivier, 2008.

[6] Naomi Alderman : Mauvais genre, L’Olivier, 2011.

[7] Valerie Solanas : Scum manifesto. Association pour tailler les hommes en pièces, Mille et une nuits, 2005.

 

Granges de Labach, Cathervielle, Haute-Garonne.

Photo : T. Guinhut.

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31 janvier 2019 4 31 /01 /janvier /2019 15:31

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Géographies des bibliothèques enchantées,
de Jorge Luis Borges à Mohammad Rabie.

 

 

Jorge Luis Borges : Fictions,

traduit de l'espagnol (Argentine)

par Roger Caillois, Nestor Ibarra et Paul Verdevoye,

Folio, Gallimard, 208 p, 6,80 €.

 

Mohammad Rabie : La Bibliothèque enchantée,

traduit de l’arabe (Egypte) par Stéphanie Dujols, 176 p, 19 €.

 

 

 

 

      Il ne suffit pas d’être un bâtiment, hébergeant des salles, des étagères, des rayonnages, encore faut-il avoir la dignité et le mystère de l’assemblée des livres. L’acmé du paradoxe, à savoir l’inventive pléthore de l’illisible, ayant été atteint par Borges dans son conte « La bibliothèque de Babel », et gravement parodié par Umberto Eco, il reste à ensemencer d’enchantement les bibliothèques réelles et imaginaires. Bien que Mohammad Rabie, écrivant non loin des sables de celle d’Alexandrie, ait la modestie de ne faire allusion au nom de Borges qu’incidemment, il ne peut cacher qu’il écrive dans son ombre, quoique sans démériter. Au point, qui sait, de pouvoir être son fils spirituel. Ainsi nous irons de  l'omniscience borgésienne au fantasme de traductibilté universelle de Rabie

      Sans vergogne, Jorge Luis Borges[1] fait profession d’omniscience : tout est dans ce tout qu’est la « bibliothèque de Babel ». La quête de sens trouve son réalisation dans la totalité, puisque tous les livres mathématiquement imaginables de par la succession, la combinaison et la dispersion des lettres de l’alphabet s’y trouvent, quoiqu’elle bute sur le relatif infini de la chose et la quasi-impossibilité pour l’homme-bibliothécaire d’y découvrir un seul livre entièrement lisible, pire un seul qui soit digne d’entrer dans une bibliothèque digne de ce nom, a fortiori d’un grand livre, qu’il soit de Dante ou de Kant. À l’omniscience idiote, car indifférenciée et relativiste du dieu borgésien non-dit et insituable, répond l’aporie d’une bibliothèque illisible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Un « bibliothécaire de génie […] déduisit que la Bibliothèque est totale, et que ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c’est-à-dire tout ce qu’il est possible d’exprimer, dans toutes les langues. Tout : l’histoire minutieuse de l’avenir, les autobiographies des archanges, le catalogue fidèle de la Bibliothèque, des milliers et des milliers de catalogues mensongers, la démonstration de la fausseté de ces catalogues, la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, l’évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le fait véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres ; le traité que Bède put écrire (et n’écrivit pas) sur la mythologie des Saxons, ainsi que les livres perdus de Tacite[2] ». On devine qu’à ce vertige de la liste, pour reprendre le titre d’Umberto Eco[3], s’ajoute le gloubi-boulga de tous les ouvrages fautifs, qu’il s’agisse d’une seule faute d’orthographe ou coquille ou d’un fatras omnipotent d’erreurs, d’hérésies et de contre-vérités, scientifiques ou morales : tout et son contraire, tyrannie de la fausseté. La totalité associant une introuvable perfection philosophique et esthétique avec les marasmes de la vulgarité, de l’insulte et de la provocation au génocide, soit un Evangile de Luc fallacieux acoquiné avec un exact Mein Kampf… Plutôt qu’enchantée, cette bibliothèque ne manque pas d’exhaustivité maligne, comme dans le cas de l’hypermnésique qui retient tout, mais ne sait rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Sophiste stérile, essayiste des possibles, mathématicien des probabilités, ironiste distingué, érudit parodique, grand prêtre d’un culte babélique ? Tout cela à la fois. D’autant que Borges à l’habileté de disposer sa bibliothèque kilométrique comme un rubik’s cube exponentiel dans l’espace commode et mesuré d’un conte, lui-même dans un mince recueil de Fictions, dans une perpétuelle et vertigineuse mise en abyme, comme dans les boites d’oreilles de la Vache-qui-rit qui démultiplient à l’infini vers l’infiniment petit, au lieu que la démarche borgesienne se déploie en direction de l’infiniment grand. « Ce livre est fait de livres[4] », avouait le bibliothécaire de Buenos-Aires dans sa préface à l’édition de la Pléiade qui lui est consacrée.

      Nul doute qu’en cette Bibliothèque de Babel l’on lise l’article consacré à « Uqbar », dans cet unicum : « le tome XLVI de l’Anglo-American Cyclopedia », nanti d’une poignée de pages surnuméraires dévoilant une pure fantaisie géographique et historique. Ainsi que le livre de « Silas Haslam : History of the land called Uqbar[5] », aussi fictif que son auteur. Un monde est donc possible dans les brèches inédites du réel, ourdi par la facétie d’un auteur et d’un imprimeur, révélant parmi les territoires balisés de la connaissance encyclopédique une brèche où s’engouffrent le possible et l’impossible, nés des entrailles du vraisemblable, des conjectures et de l’imagination.

      L’on sait combien l’auteur bientôt aveugle de Ficciones fut parodié - en toute amitié bien entendu - par Umberto Eco, dans Le Nom de la rose : il devient un irascible Jorge de Burgos, également aveugle, au sens littéral et au sens figuré (sinon défiguré), qui veille jalousement sur la partie de la Poétique d’Aristote consacrée à la comédie, hélas disparue, et interdit, au besoin par la mort, à tout lecteur de feuilleter des pages qui laisseraient entendre que l’on peut rire de tout, donc de Dieu[6]. Au point d’être convaincu de crime par un avatar médiéval de Sherlock Holmes et de laisser lire le blasphématoire ouvrage, il préfère un gigantesque autodafé de la bibliothèque, où périra également sa chair. Ainsi cette bibliothèque monastique est-elle un autre avatar, celui de celle de borgésienne de Babel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Egalement menacée de destruction, La Bibliothèque enchantée de Mohammad Rabie parait être plus réaliste. Cette fois, ce n’est pas un autodafé religieux qui menace l’habitat des livres, mais quelque chose entre le despotisme politique et l’ignorance populacière[7] : l’urbanisme. Il s’agit de construire une ligne de métro dans la ville du Caire et donc de détruire l’encombrante construction. Aussi un fonctionnaire est-il chargé de rédiger un rapport. Le jeune Chaher découvre alors un vieil immeuble oublié, dans lequel, sur plusieurs niveaux, sont entreposés mille livres par pièce. Le rangement est incongru : il ne respecte que « l’ordre chronologique des publications », puis des arrivées. En l’absence de tout catalogue, l’on ne peut que piocher au hasard des yeux et de la main et en fonction de la date d’impression : les années trente au rez-de-chaussée, les années soixante au premier, et ainsi de suite en montant. En l’occurence aucun chercheur sérieux n’y peut travailleur, hors le « chercheur autodidacte ».

      Le récit laisse tour à tour la parole à deux narrateurs, Chaheb et le Dr Sayyib, un habitué, passablement au fait des mystères de la bibliothèque, qui joue en fait le rôle de l’initiateur un brin tortueux et manipulateur. Heureusement, un article de journal, extrait du dossier fourni à Chaheb, nous délivre l’origine de cette institution en passant par une sorte de conte enchâssé, non loin des Mille et une nuits. Voici une histoire d’amour entre un riche jeune homme et une modeste jeune fille, au talent poétique certain, ce qui convainc le père d’accepter un tel mariage : elle sera la créatrice de la bibliothèque, dans le but de « voir les mœurs des gens s’ennoblir grâce au savoir et aux belles lettres et leur vie s’enrichir par le dialogue et la critique constructive ».

      De loufoques et pathétiques personnages traversent le lieu éclairé par un « puits de lumière » : « Jean le copiste », travailleur compulsif qui est passé à l’appareil photo pour améliorer son rendement, Ali, persuadé qu’un document caché lui permettra de devenir propriétaire de la bâtisse, de ses livres et de ses précieux manuscrits…

      Outre la séduction de cette bibliothèque désuète aux rangements erratiques, Chaher est lui aussi enchanté en découvrant une traduction arabe du Codex seraphinianus[8], cette encyclopédie imaginaire, dont les illustrations fantasmagoriques, protéiformes, et l’écriture indéchiffrable le ravissent. Il y a évidemment une incongruité à traduire l’intraduisible en arabe, d’où l’infiltration du fantastique dans le récit de Mohammed Rabie. Jusqu’à ce que son personnage fomente de commettre un « larcin qui ait une portée cosmique et métaphysique », imagine une conjuration de traducteurs, des imprimeries souterraines et autres hypothèses fantasques…

      Le spectre de l’autodafé plane également parmi les volumes. Comme lorsque Chaher tombe sur une traduction en arabe de l’humaniste Etienne Dolet : ce dernier, pour avoir répondu « Rien du tout » à « la question rhétorique de Platon Qu’y-at-il après la mort ? » fut brûlé sur le bûcher ; mais aussi pour avoir été un traducteur fort infidèle. À cet égard la satire s’en donne à cœur joie, fustigeant les traducteurs bousilleurs, comme un certain Tharwat Okacha. Ce qui donne lieu d’ailleurs à des réflexions bien senties sur l’éthique de la traduction[9]. Mais aussi à une espérance folle de traductibilité universelle.

      On n’oubliera pas la satire de l’administration et de « l’opium du fonctionnariat » : sinécure et fainéantise, petitesse d’esprit et noircissage de paperasse inutile. Chaher ne se fait guère d’illusion sur sa mission : « préconiser la démolition ». S’il est un jeune employé du ministère des « Biens de Mainmorte », en conformité au réel ministère de ce nom qui gère les biens religieux et inaliénables, il faut probablement y voir une métaphore d’un Etat sous la férule duquel les biens et les livres sont des objets destinés à la mort.

      L’apologue a quelque chose de discrètement kafkaïen, de nettement borgesien, car cette « bibliothèque enchantée » au moyen de ses traductions en de multiples langues, dont les incroyables traducteurs resteront inconnus, est sous le couperet de ce réel sordide fait d’aménagement du territoire et de glaciales décisions administratives. Sous des dehors d’emblée anodins, se profilent de graves thématiques : l’avenir menacé des bibliothèques, la montée de l’ignorance, l’imbécillité de qui passe son temps « à glorifier son dieu - ou son gouvernement », les postulations de l’imaginaire babélique…

      Selon toute apparence, il s’agit là du premier livre traduit chez nous de l’Egyptien Mohammad Rabie. Roman surprenant, déroutant, attachant, apparemment neutre puis pétillant de malice. À ce titre, même si la dynamique narrative n’est pas immédiate,  plus l’on avance dans la lecture, plus l’ouvrage prend de l’ampleur, devient un festival de spéculations, de peur, de bouillonnement intellectuel, de spéculations enchantées et enchanteresses. À cet égard, nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir la fabuleuse révélation finale. Or notre curiosité s’allumant, l’on apprend que cet ingénieur, né au Caire en 1978, a publié deux autres romans : L’œil du dragon en 2012 et Otared, en 2014, qui est une infernale dystopie. Il n’est pas impossible qu’outre cette bibliothèque de fiction, ils doivent également dresser leur acte de naissance dans la langue de Molière. Faut-il, à la liste déjà généreuses des écrivains égyptiens d’importance, Naguib Mahfouz, Alaa El Aswany, ajouter le nom de Mohammad Rabie, disciple facétieux et inquiet de Borges ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Voir : Un Borges idéal équivalent de l'univers : anthologie personnelle ou de l'art de poésie

[2] Jorge Luis Borges : « La Bibliothèque de Babel », Fictions, Œuvres complètes, tome I, Gallimard, La Pléiade, 2010, p 494.

[3] Umberto Eco : Le Vertige de la liste, Flammarion, 2009.

[4] Jorge Luis Borges : Œuvres complètes, T I, Gallimard, La Pléiade, 2010, p X.

[5] Jorge Luis Borges : « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius », Fictions, Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade, 2010, p 453, 454.

[8] Luigi Serafini : Codex seraphinianus, Rizzoli, 2013.

[9] Voir : Aux pieds de Babel : les routes de la traduction et de l'iconographie

 

Cheykh Êl-Mohdy : Contes, traduits de l’arabe par J. J. Marcel, Dupuy,

1835. Photo : T. Guinhut.

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26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 13:59

 

Steinegg / Collapietra,  Trentino Alto-Adige / Südtirol. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Robert Montgomery Bird :

Les métamorphoses de Sheppard Lee,

entre Ovide et Kafka.

 

 

Robert Montgomery Bird : Sheppard Lee écrit par lui-même,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Antoine Traisnel,

Au Forges de Vulcain, 434 p, 22 €.

Points, 478 p, 10,60 €.

 

 

      Devenir autre, devenir monstre ou changer de vie, que ce soient par une élévation sociale ou par la réincarnation, est un fantasme largement partagé. Depuis l’Antiquité, poètes, nouvellistes et romanciers aiment à pratiquer l’art des métamorphoses. Un art cependant dangereux, qui sauve ou punit. Ainsi, dans les Métamorphoses d’Ovide[1], les pouvoirs divins du fleuve Pénée volent au secours de Daphnée en la changeant en laurier pour lui permettre d’échapper à la poursuite d’Apollon[2]. Pire, Lucius, dans L’Âne d’or d’Apulée, se voit changé en âne au lieu d’un aigle, à cause de sa curiosité, d’une méprise, et surtout de son hubris[3]. Les dieux se faisant rare à l’époque moderne, il faut préférer une métamorphose sociale, voire ontologique. Elle est traitée sous le mode burlesque par Robert Montgomery Bird en son étonnant roman : Sheppard Lee écrit par lui-même. Ecrivant dans la première moitié du XIX° siècle, s’il connaissait Ovide, il n’avait pas encore eu la malchance d’être métamorphosé en un personnage de Franz Kafka.

      Il paraît incroyable que les historiens de la littérature américaine aient manqué de clairvoyance devant un fort curieux romancier, contemporain d’Edgar Allan Poe[4], qui d’ailleurs l’admirait : Robert Montgomery Bird. Né pour une courte vie, entre 1806 et 1854, et d’abord médecin (ce qui explique les nombreuses allusions à la médecine en notre ouvrage) il n’en écrivit pas moins d’une demi-douzaine de romans, dont ce Sheppard Lee écrit par lui-même, qui est « en mesure d’instruire l’ignorant et l’ingénu ». Dans la tradition millénaire des Métamorphoses d’Ovide et bien avant celle de Kafka, Sheppard Lee change de corps et de vies. Or, de métamorphose en métempsychose, Robert Montgomery Bird parcourt avec brio et satire la marelle de la société américaine du XIX° siècle.

      Ces réincarnations le comblent rarement, le malmènent souvent. Paresseux, pas très malin, bien que riche héritier, Shepard Lee se retrouve pauvre comme Job. Toutes ses entreprises, y compris politiques, tournent au fiasco : « car les preuves sont aussi peu estimées en politique que les raisonnements logiques ». Au cours d’une rocambolesque et superstitieuse quête d’un prétendu trésor, sa pioche le frappe violemment. Auprès de son propre cadavre, il s’empare du corps de « Messire Higginson », aussi riche que satisfait de soi. La joie est de courte durée, lorsqu’il est accusé d’avoir assassiné Shepard Lee, autrement dit lui-même ! Il croit retrouver la sérénité quand il est soudain accablé par la maladie et veillé par sa « mégère », insupportable au point qu’il pense se suicider. Le voilà contraint de méditer sur la condition humaine : « La pauvreté est-elle pire que la goutte ? L’endettement aussi pénible qu’une épouse querelleuse ? »

      Sa seconde mort lui permet une nouvelle métempsychose : « Ce qui était sûr, c’est que dans les deux cas je n’étais absolument pour rien dans mes métamorphoses, outre que j’en avais bêtement formulé le souhait ». Le voici devenu un « pauvre dandy[5] vivant à crédit », libertin vaniteux chassant la dot et chassé par la dette. Le « jeune gandin ignare » n’a pour profession que de dilapider son patrimoine puis de se faire « chasseur de pigeons ». Espérant séduire sa cousine fortunée, il ne peut qu’avouer son machisme : « je ne fais que consigner l’horreur avec laquelle je - dans la peau d’un dandy, et comme tous  ceux de sa caste - regardais tous les individus du sexe opposé plus intelligents ou plus avisés que moi ». Tentant d’escroquer deux familles en promettant d’épouser deux héritières, il est bientôt berné, et n’a d’autre recours que d’user de son « don d’entrer dans n’importe quel corps humain » de choir dans une autre personnalité.

      En une sorte d’antithèse éminemment burlesque, notre anti-héros perpétuel se vêt de la peau d’un « avaricieux » usurier à peine décédé. Ainsi l’on saura tout sur le prêt sur gages, l’agiotage et la rouerie. En cette aventure, plus qu’immorale, quoiqu’il s’agisse encore une fois d’un apologue à visée forcément morale, « sont illustrées la folie de bien éduquer ses enfants et la sagesse de faire fortune ». Être riche et rusé a cependant un prix : la vieillesse, l’infirmité, deux fils, l’un ivrogne et voleur, l’autre voleur et faussaire, pire même : l’un s’égorge en prison, l’autre est pris en flagrant délit de tentative parricide !

 

      Nous ne saurions déflorer toute la matière de ce généreux ouvrage pourfendeur d’une bonne demi-douzaine de vices. Il serait discourtois de ne pas laisser au lecteur le plaisir de découvrir comment Sheppard Lee devient un quaker philanthrope. Soyons certains que la satire la plus enjoué et mordante n’y abandonne pas ses droits, car « diverses mésaventures et calamités récompensèrent [sa] vertu ». Au point qu’emmené en Virginie le voilà convaincu d’être un abolitionniste et à ce titre digne d’être lynché !

      Qui sait si la plus passionnante et la plus osée de ces incarnations est celle qui lui permet de devenir Tom, son « frère d’ébène » ? Quoique satisfait de son sort comme jamais et auprès d’un maître fort débonnaire, Tom, l’esclave noir bon enfant et indolent, prend connaissance de « la malédiction d’une race toute entière », grâce un libelle abolitionniste humaniste et philanthrope. Aussitôt la communauté noire locale, pourtant fort bien traitée, se sent envahie par le sentiment de persécution au point de haïr son maître, car « les causes imaginaires sont toujours les plus efficaces pour susciter la jalousie et la haine ». Bientôt les insurgés mettent sur pied une « expédition sanguinaire et brigande », brûlent et tuent. Revenu de toute illusion sur la nature humaine, noire ou blanche, Sheppard Lee peut méditer en prison avant d’être pendu. Un tel épisode ne ravit pas tous les lecteurs, gênés par le cliché raciste du nègre paresseux ou délibérément sauvage, et par une société esclavagiste qui pourrait passer pour un éden pastoral.

      Il n’est pas impossible d’imaginer que le personnage de Tom (ce qui est alors fort novateur) puisse préfigurer celui d’Harriet Beecher Stowe, dans La Case de l’oncle Tom[6], paru aux Etats-Unis en 1852. Dénonçant les abjections de l’esclavagisme, ce roman obtint un succès aussi immédiat que durable et ne compta pas pour rien dans l’élection d’Abraham Lincoln qui, en dépit de la guerre de Sécession, parvint à abolir l’esclavage en 1862.

      Sommes-nous sûrs de la sérénité d’une vie suivante, celle d’un « gentilhomme de bonne fortune » ? Paresse, « ennui existentiel » et gourmandise seront son lot, complétant la liste de ce traité des sept péchés capitaux au service de sept incarnations. Que le lecteur aille vite lire de quelle grandguignolesque manière notre personnage favori retrouve son premier corps momifié pour le réintégrer !

 

      À chaque fois cependant il faut à Shepard Lee un tantinet ranimer la mémoire de celui à qui il emprunte la vie ; ce qui lui permet de pertinentes réflexions : « J’en déduis que la mémoire ainsi que beaucoup d’autres fonctions de l’esprit ont bien davantage partie liée avec les actions du corps que ce que les métaphysiciens veulent prétende ». Or l’idéalisme n’est pas son fort : « beaucoup du bon et du mauvais dans la nature humaine résulte de causes et d’influences purement physiques ». C’est à tel point qu’il imagine une spéculation juteuse : convertir les cadavres en engrais. Voire utiliser le corps du président « pour en tirer du savon, que ses successeurs utiliseraient pour récurer la constitution et les esprits du citoyen ». Ce qui n’est pas sans faire penser à l’ironique Modeste propositions pour empêcher les enfants pauvres d’Irlande d’être à charge à leurs parents ou à leur pays et pour les rendre utiles au public[7], c’est-à-dire les manger…

      Quoiqu’il soit parfois choqué de la dépravation de ses personnages d’emprunt, étant donné « l’honnêteté du Sheppard Lee original », il s’adapte fort vite. « Fier comme Lucifer » ou malheureux comme les pierres, il ballote d’un état à un autre, d’une classe sociale à une autre. Et, même si, à notre grand regret, car nous aurions été curieux de voir ce que nous aurait réservé le romancier, il ne se change jamais en femme, c’est un tableau de société, et de ses tares, qui se dévoile, sous le couvert d’une bourgade rurale du New Jersey et de la ville de Philadelphie.

      Ecrites avec un humour d’une finesse infinie et une sévère autodérision, les aventures de Sheppard Lee, évidemment un narrateur totalement fictif, procurent une lecture délicieusement divertissante et une satire sociale d’une efficacité rare, qui parcourt tous les échelons de la société, depuis les plus boueux ruraux jusqu’à « l’aristocratie républicaine ». Au cours d’un enchaînement de péripéties, jamais redondantes, se devinent bien des morales, en particulier le fameux adage : l’argent ne fait pas le bonheur… La déréliction, l’impéritie et l’égoïsme de cet anti-héros renvoient à une sagesse en creux à laquelle parvenir. Elle est souvent implicite, parfois explicite, souvent moralisatrice : « le contentement est le secret de tout plaisir », « j’ai appris à être reconnaissant envers la Providence de m’avoir réservé un sort laborieux », car changer de condition n’est pas sans danger et envier autrui ne tient guère compte des soucis de ce dernier… Il faut cependant prendre garde que cette morale finale est peu de chose au regard de l’acuité des analyses psychologiques et sociales qui sont ici un véritable festival.

      Récit picaresque[8] ou conte philosophique ? Récit fantastique, voire gothique[9] et morbide, ou roman de mœurs ? Tout à la fois ; avec une énergie narrative entraînante. De toutes manières, le récit tient plus à l’esthétique romanesque du XVIII° que du romantisme son contemporain, à moins de penser à Frankenstein[10] animant des fragments de morts, ce qui n’enlève rien à son mérite. Publiée en 1836, cette Comédie humaine, plus concise que celle de Balzac, pose de rares problèmes d’identité. Qui avons-nous eu la chance ou la malchance d’être, sommes-nous toujours le même, l’esprit n’est-il que la résultante du corps, jusqu’où avons-nous la capacité d’entrer dans la peau d’autrui, de vivre sa vie, de le comprendre ? En fait, mieux que tout pouvoir magique, ce sont les pouvoirs de métempsychose de la littérature qui sont ici à préférer : « je ne pouvais plus me conjuguer au singulier »…

 

      Au contraire de Montgomery Bird, le personnage de Kafka n’admet aucune morale, il ne s’inscrit guère dans un apologue. Sinon dans un récit aporétique et tautologique : « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine[11] », ce qui est l’un des plus beaux incipits de la littérature universelle. Sa Métamorphose n’est ni d’origine divine, à moins d’imaginer une sourde fatalité venue du Dieu jaloux et vengeur de la Bible hébraïque, ni sociale, tout juste ontologique peut-être. L’on peut supposer qu’il s’agit d’une déréliction toute personnelle, d’une mélancolie dépressive et morbide, d’une dévalorisation de soi hantée par l’épuisement professionnel et un miroir psychologique fêlé, voire d’une prescience de la condamnation des Juifs à la Shoah, comme le montre l’interprétation du Procès par le cinéaste Orson Welles[12]. Kafka retrouve cependant une orientation venue d’Ovide et de L’Âne d’or d’Apulée, puisque l’homme est changé en animal, en cafard peut-être, mais en cadavre digne des ordures enfin. Même si l’on sait que l’auteur du Château aimait à rire en lisant ses récits, n’était-ce pas la seule conjuration du tragique possible ?

      Après ses aventureuses métempsychoses, le Sheppard Lee de Montgomery Bird est non seulement rétabli dans son humanité première, alors que son beau-frère a remis sa ferme sur pieds, mais y a gagné en sagesse. Ses métamorphoses ont un sens que celle de Kafka n’a pas, et le rapprochement entre deux auteurs si dissemblables prouve s’il en était besoin qu’en cette affaire le roman de Montgomery Bird est le chaînon manquant enfin rétabli entre de mythiques métamorphoses antiques et de plus bassement humaines détériorations physiques et mentales, non moins métaphysiques. La collusion entre fantastique, fantaisie picaresque et satire sociale en est d’autant plus remarquable, au point qu’après ce chef d’œuvre d’humour et d’intelligence, nous aimerions voir traduits d’autres volumes de Robert Montgomery Bird. Par exemple, l’un de ses six romans, Nick of the Woods, publié en 1837, qui met en scène un pacifique quaker soudain aux prises avec des éruptions de sanguinaire folie.

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

À partir d'un article -ici augmenté- paru dans Le Matricule des anges, nov-décembre 2018

 

[2] Ovide : Les Métamorphoses, Livre I.

[3] Apulée : L’Âne d’or, Livre III.

[6] Harriet Beecher Stowe, dans La Case de l’oncle Tom, Le Club Français du Livre, 1960.

[7] Jonathan Swift : Modeste proposition, Œuvres, Gallimard, La Pléiade, 1995, p 1383-1392.

[11] Franz Kafka : La Métamorphose, Œuvres complètes II,  La Pléiade, Gallimard, 2005, p 192.

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Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

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Fragoso

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Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

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La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com.

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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